Vies sous occupation : « Pouvez-vous m’expliquer pourquoi il m’est interdit de me soigner ? »
dimanche 17 mars 2013 - 05h:51
« A cinq mois de grossesse de mon fils, j’ai découvert un truc qui grandissait sur mon avant-bras. Je suis alors partie à l’hôpital où les médecins ont décidé d’enlever une partie et de l’examiner. C’était malheureusement un cancer, » raconte Sabreen Okal, 27 ans, mère de 5 enfants, 4 filles et un garçon. Le PCHR Gaza a retrouvé la mère de famille, assise sur un tabouret en plastique dans sa modeste maison du camp de réfugiés de Jabaliya.
- Sabreen Bashir Mohamed Okal, 27 ans avec ses filles Malak, 6 ans et Raghad, 9ans
Elle poursuit : « J’ai subi une intervention chirurgicale pour retirer la tumeur, suite à quoi, j’ai eu six séances de chimiothérapie. J’étais très malade durant toute la période de traitement et j’étais incapable de manger pendant 10 jours. Je ne peux toujours pas me servir totalement de mon bras droit car les nerfs autour de la plaie ne sont pas encore guéris. »
Malgré le traitement, Sabreen a rechuté et le cancer est réapparu. La mère de famille a subi une nouvelle opération le mois d’octobre dernier pour enlever la tumeur du bras. Elle explique : « Mon médecin m’a informée que mon cas nécessitait des séances de radiothérapie dans un hôpital spécialisé de Jérusalem. Il a tenu à m’expliquer que si je rate ces thérapies, j’aurais une métastase. Il a, de ce fait préparé toute la paperasserie nécessaire pour mon transfert, au plus tard le 20 décembre, vers un hôpital spécialisé de Jérusalem. »
Toutefois, à l’instar de tous les malades de Gaza cherchant à se faire soigner au-delà des frontières de la Bande, Sabreen et sa belle-mère qui devait l’accompagner à l’hôpital ont dû traverser le poste de contrôle frontalier d’Erez, géré par Israël. Elle raconte : « J’ai été informée que la procédure standard voulait que je passe un entretien avec les services de renseignements israéliens avant de traverser le point de passage. A mon arrivée à Erez le 20 décembre, ils m’ont mise dans une pièce pendant 3 heures. J’ai ensuite été soumise à des questions qui n’avaient aucune relation avec ma maladie. Ils m’ont demandé si mon mari était affilié au Hamas. A la fin de l’interrogatoire, j’ai été placée dans une autre petite pièce pendant trois heures supplémentaires avant que je ne sois renvoyée chez moi. Ils m’ont refusé le droit d’aller me soigner à l’hôpital et j’ignore pourquoi. »
Le 7 janvier dernier, le PCHR a envoyé une lettre aux autorités israéliennes opérant au passage d’Erez les exhortant à prendre en considération la demande de Sabreen. Deux semaines plus tard, les agents à la frontière ont répondu qu’ils allaient étudier le dossier de la malade. A ce jour, Sabreen n’a reçu aucune autorisation pour pouvoir traverser la frontière et se rendre à l’hôpital.
De ce fait, Sabreen ne comprend toujours pas les raisons de ce refus qui met en danger son état de santé et hypothèque ses chances de guérison : « La radiothérapie est importante pour mon traitement mais malheureusement, je suis privée du droit d’accès au traitement. Pouvez-vous me dire pourquoi suis-je interdite d’aller à l’hôpital ? Indépendamment de ma nationalité et de ma religion, je dois être considérée comme un être humain et vue comme une patiente nécessitant un traitement médical. Le cancer peut toucher n’importe qui. Si le soldat israélien de la frontière qui m’a barré le chemin de l’hôpital avait eu le cancer ou bien l’un de ses proches, il ne laisserait passer aucune seconde pour agir. Mais moi, j’attends une solution depuis deux mois déjà. »
Contrainte d’attendre le bout du tunnel, Sabreen sent que sa maladie se développe dans son corps. Elle explique : « J’ai des douleurs au bras. Je sens que mon corps n’est plus comme avant. » Et en montrant une bosse sur sa main, elle poursuit : « Je sens que cette bosse est un cancer. Ma maladie est dangereuse. Je ne peux plus attendre, vous voyez ce que j’ai là ? Vous savez ce qui va finir par m’arriver. Et qui prendra soin de mes enfants ? Qui va les élever ? »
Au fil des jours, le désespoir de Sabreen grandit. Elle avoue : « Je suis psychologiquement effondrée et épuisée. Tout ce qu’on m’a dit c’est d’attendre, sans pour autant me préciser pour combien de temps. C’est inhumain, et j’ai peur que quelque malheur m’arrive entre temps. »
L’angoisse de Sabreen est accentuée par ce qu’elle a connu par le passé le danger du cancer qui a touché son frère, emporté par la maladie à l’âge de 17 ans.
Sabreen, dont la situation financière reste précaire et désastreuse, ne peut pas se permettre les frais d’un voyage à l’étranger, comme en Egypte par exemple. Elle souligne : « Mon époux est un ouvrier du bâtiment qui perçoit un salaire à la fois insuffisant et incertain. En vérité, notre argent ne suffit à rien, d’ailleurs, les chambres de la maison sont vides. Les plafonds sont dans un mauvais état et laissent tout pénétrer, et le réfrigérateur était un cadeau d’une association caritative. C’est pourquoi, l’hôpital de Jérusalem reste ma seule option. »
Nous étions en train de discuter lorsque Raghad, 9 ans et Malak, 6 ans, sont rentrées de l’école. Traversée par la fierté maternelle, Sabreen évoque les bons résultats de ses filles : « Les enseignants sont très impressionnés par l’intelligence de mes filles. Elles travaillent bien dans toutes les matières et je suis fière d’elles. Elles ont prononcé leurs premiers mots à 9 mois seulement. »
Et comme toutes les mamans, Sabreen tient à protéger ses enfants de la réalité amère de sa maladie « J’essaie de vivre ma vie le plus normalement du monde et je répète toujours à mes enfants que je ne suis pas malade. Mais je me souviens d’un jour où ma fille Malak est rentrée de l’école en pleurant. Quelqu’un lui avait dit que j’étais atteinte du cancer et que je devais partir à Jérusalem pour me soigner. Jusqu’à ce jour, elle continue de me poser des questions à ce sujet, mais je nie toujours en tentant de la rassurer. Mes enfants sont encore très jeunes pour comprendre la réalité cruelle du cancer. »
Sabreen conclut : « Il ne me reste plus qu’à prier Allah pour qu’il nous accorde la patience et qu’il préserve nos vies. Je veux seulement vivre ma vie normalement et pouvoir élever mes enfants. »
Depuis juin 2007, lorsque le blocus sur la Bande de Gaza est devenu une réalité quasi-absolue, 64 patients sont décédés pour avoir été empêchés de quitter Gaza pour demander des soins ailleurs, ou bien à cause de la pénurie des médicaments, causée justement par la fermeture. Parmi les malades qui n’ont pas pu résister, il y avait 18 femmes et 16 enfants. Chaque mois, le PCHR Gaza aide en moyenne 23 patients dans leurs demandes de permis pour le voyage : ils souffrent de retards, de refus et d’autres obstacles.
Pourtant, en tant que puissance occupante, Israël a l’obligation, en vertu de l’Article 12 du Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels, de reconnaître « Le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. »
Le blocus illégal prolongé sur la Bande de Gaza a donc conduit à la détérioration du système de santé local qui souffre de pénuries chroniques en matière d’installations et de produits médicaux. Ainsi, ce blocus imposé par Israël équivaut à une forme de punition collective contre la population de Gaza, ce qui constitue une violation manifeste de l‘Article 33 de la Quatrième Convention de Genève. Et ce n’est pas tout, ce blocus qui inflige de graves souffrances à la population civile de Gaza constitue un crime de guerre que le leadership politique et militaire israélien porte l’entière responsabilité pénale individuelle.
- Les filles de Sabreen, de gauche à droite : Malak, 6 ans, Mayar, 2 ans et Raghad, 9 ans.
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20 février 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha