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Repenser l’Afrique du Sud

jeudi 7 mars 2013 - 05h:30

Mazin Qumsiyeh

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Bénis sont les dociles ; car ils hériteront la terre. Amen !

J’ai fait quelques recherches avec des scientifiques sud-africains sur les gerbilles (petits rongeurs - ndt) et j’ai travaillé un court moment, dans les années quatre-vingt, contre l’apartheid en Afrique du Sud. J’ai aussi discuté et lu sur l’Afrique du Sud au cours des trente dernières années, en tant que modèle pour Israël/Palestine. Il me fallait aussi écouter mon propre conseil quand je parle de la Palestine : venir et voir, car tout ce que l’on peut lire et discuter avec des gens de l’extérieur ne peut remplacer une visite du pays lui-même, une immersion dans son corps, son esprit et son âme. C’est fait, et je suis en train, ici, de repenser l’Afrique du Sud. J’ai été choqué et consterné par des choses que j’y ai vues, mais j’ai été motivé par le peuple. En faisant le constat de la misère dans des bidonvilles comme Diepsloot (littéralement Profond fossé) et Soweto (ghetto noir du sud-ouest), je me suis rendu compte que l’apartheid n’était pas fini ici, qu’il avait pris surtout une autre forme et que nous avons beaucoup de leçons à en tirer pour la lutte palestinienne contre l’apartheid israélien.

Ma conférence comprenait 50 représentants de quelque 20 pays et elle doit débattre sur ce qu’il faut faire pour que le monde se rapproche de la paix et de la justice, et pour que cela se produise aussi en Afrique du Sud. Parmi ses principes directeurs, la reconnaissance du lien entre l’écologique, l’économique et l’œcuménique (tous ayant comme racine le mot grec oikos, qui signifie maison). Mettre de l’ordre dans notre maison en tant qu’êtres humains est important. Reconnaître qu’une économie basée sur les principes théologiques implique de se soucier de la population et de notre environnement, et de vivre une spiritualité de résistance et transformation.

Mais avant que la rencontre officielle ne commence, il nous a été donné de visiter des sites comme le musée de l’Apartheid, le monument aux Voortrekkers, le parc de la Liberté, la colonie/ghetto noir Diepsoot, et la maison de Mandela. Le musée de l’Apartheid nous a douloureusement rappelé toute la souffrance et l’indignité de l’époque. Les meurtres, l’injustice économique et les violations des droits humains étaient alors endémiques, comme ils le sont aujourd’hui en Palestine (l’État d’apartheid d’Israël). Mais il nous a rappelé aussi le combat de l’esprit humain dans sa recherche de justice et de liberté. Le compromis que Mandala a consenti à la direction blanche et sa tentative de non-exclusion et de pardon y sont à l’évidence bien exposées. Mais ses déclarations antérieures aussi sont visibles, telle celle à l’entrée : « Etre libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est aussi vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ». Ce qui s’inscrit pleinement dans la déclaration de Mandela que la liberté en Afrique du Sud ne sera complète que lorsque la Palestine sera, elle aussi, libre. Bien sûr, afin de tenir compte de la structure du monde, il a dû revoir son opinion que le sionisme est du racisme. Le Premier ministre turc Erdogan subit actuellement les mêmes pressions pour avoir dit la vérité, que le sionisme est un crime contre l’humanité.

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Le musée de l’Apartheid

En janvier 1985, Mandela s’est vu proposer sa libération à condition qu’il renonce à la violence. Il a refusé, écrivant au peuple dans une lettre « Seuls les hommes libres peuvent négocier. Les prisonniers ne peuvent pas conclure d’accord… Je ne vendrai pas les droits innés de mon peuple pour ma liberté ». Et d’insister pour être libéré sans condition, et d’exiger que l’apartheid prenne fin avant toute négociation de l’ANC. Seuls les hommes libres peuvent négocier. Une pression s’est intensifiée sur le régime d’apartheid via une résistance locale grandissante aidée par un mouvement BDS international. F.W. de Klerk a expliqué aux partisans de l’apartheid que l’heure était grave et que l’Afrique du Sud devait éviter le sort de la « Rhodésie ». Mandela n’est pas tombé dans le piège de négocier alors que l’apartheid persistait, mais il a assuré les Blancs de sa souplesse quand l’apartheid aura pris fin et en effet, à ce jour, les Blancs ont conservé leur classe privilégiée. Ce que beaucoup de partisans de l’ANC ont vu comme une « capitulation  ». Mais c’était bien moins un compromis que quand la direction de l’OLP a accepté de négocier alors que des Palestiniens restaient emprisonnés sous le système colonial d’apartheid israélien. Ainsi, la véritable signification du processus d’Oslo, ce sont les 20 années de négociations entre les prisonniers et les gardiens de prisons (au lieu de ce qui s’est passé en Afrique du Sud où en 3 ans de négociations entre un peuple libéré et les symboles de l’apartheid, les questions en suspens ont été résolues). Ces leçons, comme d’autres, peuvent être tirées de la lutte (toujours en cours) en Afrique du Sud.

Nous avons appris par les personnes avec lesquelles nous avons discuté et qui étaient de toutes les origines, que la lutte ici en Afrique du Sud n’est pas terminée. L’apartheid est supprimé par la loi, mais les apartheids économiques, culturels, sociaux et confessionnels sont toujours là. Nous avons visité le monument aux Voortreckers qui commémore la bataille qui a eu lieu le 16 décembre 1838 ; et où les colons blancs ont tué la population native. Mais ce n’est pas comme cela que notre guide, une Blanche, nous l’a présenté. Pour elle, les « pionniers  », qui avaient signé des traités avec les chefs zoulous, ont été trahis par les Zoulous qui « ont assassinés » les pionniers blancs ! Les Blancs qui avançaient à l’intérieur du continent (les voortrekeres) ont fait un cercle autour de leurs wagons quand le danger est apparu ! En fait, 64 wagons encerclés sont sculptés sur le pourtour du monument. A ce jour, seuls des Blancs, des Sud-Africains blancs, se rassemblent devant le monument chaque 16 décembre pour honorer la promesse de leurs ancêtres, d’il y a près de cent ans, de remercier le Seigneur pour leur avoir permis de vaincre leurs ennemis sur la terre promise, alors qu’ils venaient apporter la « lumière de la civilisation dans le continent de l’ombre  ». La théologie des reliefs sculptés et la guide nous montrent un Retief, « leader » blanc, cultivé, civilisé, démocratiquement élu, face au méchant et superstitieux roi zoulou, Dingane. C’est alors que certains d’entre nous, des visiteurs « de couleur »/noirs ont décidé que nous en avions assez de cette tournée.

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Le monument aux Voortrekkers

Les riches sont toujours plus riches, et les pauvres toujours plus pauvres ; 0,1 % de la population mondiale détient 81 % des richesses, et le ratio pauvreté/richesse, selon les statistiques, passe de 3 pour 1 en 1820 à 35 pour 1 en 1950, et à 80 pour 1 aujourd’hui. Parfois, les mouvements de libération tombent dans le piège du pouvoir. Beaucoup de ceux que nous avons rencontrés se sont exprimés sur la façon dont certains membres de l’ANC qui ont obtenu des emplois au gouvernement à la fin de l’apartheid ont été pervertis par les biens matériels (maisons, voitures, comptes en banque) et ont oublié le peuple en lutte dans les ghettos noirs et les bidonvilles tout près des gratte-ciels scintillants. Le bâtiment le plus haut à Johannesburg est la Banque de la Réserve ! Mes larmes coulaient alors que nous passions dans les ghettos noirs, qui s’assimilent à la pauvreté, car ils me rappelaient les camps de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Palestine. Le plus déchirant a été Diepsloop où vivent 250 000 êtres humains dans des cabanes aux toits en tôle. Là, nous avons visité le « Vuselela Ulwazi Lwakho Drop-in Center » (créé par une infirmière) où des centaines de personnes viennent chaque semaine pour une aide psychosociale et un traitement contre le sida (atroce pandémie à l’heure actuelle en Afrique). J’ai atteint un sommet dans un hall où j’ai remarqué près d’une centaine d’enfants entassés ensemble – c’était des orphelins du sida qui ont perdu leurs parents dans la maladie (et quelques autres orphelins). J’ai comparé ces images de la pauvreté et de la maladie, provoquées de la main de l’homme, avec les communautés mondaines en pleine ascension sociale, la plupart de Sud-Africains blancs. Le même contraste qu’entre la vie mondaine des colons juifs en Palestine et la vie dans les camps de réfugiés. Mais l’espoir des travailleurs et de ceux qui vivent dans ces sites, comme dans d’autres installations, nous montre combien la bonté chez les êtres humains peut se propager.

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Le ghetto noir de Diepsoot

Ronnie Kasrils, ministre sud-africain, a déclaré autrefois sur la Palestine : « C’est bien pire qu’un apartheid. Les mesures, la brutalité israéliennes font ressembler un apartheid à un pique-nique. Nous n’avons jamais eu des jets attaquant nos ghettos ; nous n’avons jamais été assiégés durant des mois et des mois. Nous n’avons jamais eu des chars d’assaut détruisant nos maisons.  » L’archevêque Desmond Tutu, lauréat du prix Nobel de la Paix, qui a dirigé la commission Vérité et Réconciliation, a dit qu’Israël avait établi un système d’apartheid et qu’ainsi il se livrait à des crimes contre l’humanité. Les deux soutiennent le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

Dans notre conférence de militants, nous avons tiré des leçons les uns des autres, et nous avons confirmé notre engagement dans une lutte mondiale commune. C’est ce que nous avons appelé une Intifada mondiale contre l’oppression, le colonialisme, et le monde capitaliste néolibéral qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. En visitant le parc de la Liberté, nous avons vu des travailleurs graver dans le mur le nom de ceux qui avaient donné leur vie pour la liberté. Près de 4300 noms sont déjà inscrits sur ce mur (sur des listes qui peuvent jusqu’à 80 000). Un jour, nous construirons un mur, comme celui-là, en Palestine, pour nous souvenir des 60 000 martyrs palestiniens. Ce ne sont pas des chiffres, mais des personnes réelles.

Arafat Jaradat est mort, torturé par le régime de l’apartheid israélien, la semaine dernière, et il avait 30 ans. Stève Biko est mort, torturé par le régime de l’apartheid sud-africain, en 1977 ; et il avait 31 ans. Les deux combats sont entremêlés. La pertinence de la déclaration de Steve Biko sonne juste aujourd’hui en Palestine, en Afrique du Sud, et partout dans le monde : « L’arme la plus puissante dans les mains de l’oppresseur est l’esprit de l’opprimé  ». Nous, les opprimés, devons libérer nos esprits de toute colonisation mentale avant de libérer nos corps. Alors nous serons vraiment libres pour agir pour la paix, la justice et la liberté. Cela ne peut se réaliser sans sacrifices, sans révolution.

La sagesse du Zoulou est frappante car il a un esprit de défi. Nous avons écouté une musique jouée par des jeunes, et nous avons discuté avec des plus anciens qui nous ont transmis l’espoir pour l’avenir. Nous avons appris à changer Hayo Matata (pas de problème) et à dire Umuntu ngumuntu ngabantu (une personne est une personne à cause des autres). Ceci m’a rappelé l’admonition constante de Vittorio Arrigoni qui nous disait de «  rester humain ». Etre humain c’est se soucier des autres, lutter pour la liberté et la justice dans un monde d’injustice. Les considérer comme des êtres humains, c’est alors être révolutionnaire !



Le sionisme expliqué par un colon : "Vous serez tous nos esclaves, si vous le méritez, si vous vous comportez bien..."

Source : http://www.youtube.com/watch?v=ey_o...

Action : militants réunis, de toutes origines, pour remettre en cause l’influence de l’AIPAC à Washington DC : Voix juives pour la paix



Bénis sont les dociles ; car ils hériteront la terre. Amen !





- Site : http://qumsiyeh.org
- Adresse courriel : mazin@qumsiyeh.org


* Chercheur en génétique et professeur aux Universités de Bethléem et de Birzeit, après avoir enseigné aux États-Unis, le docteur Mazin QUMSIYEH est président du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples. Figure importante de la résistance populaire dans laquelle il prend une part active et qu’il organise, il collabore également avec de nombreux mouvements pacifistes de la société civile, et a publié plus de 1 000 articles dans des journaux, des livres et sur l’Internet. Il est l’auteur de Une Histoire populaire de la Résistance palestinienne parue aux éditions Demi-Lune (en 2013)

Du même auteur :

- Des enseignements pour le prochain soulèvement - 10 février 2013
- Ici, face à l’immoralité - 3 février 2013
- Deux jeunes enterrés - 27 janvier 2013
- Espoir de Bethléhem - 18 décembre 2012
- 650 000 colons juifs... les Printemps arabes... et la fonte des glaces - 27 juillet 2012
- Saoud et Susya - 17 juin 2012
- La Naksa - 5 juin 2012
- « Qu’advient-il d’un rêve reporté ? » - 25 mai 2012
- Le moment du changement ! - 5 mai 2012
- La Journée de la Terre 2012 - 30 mars 2012
- « Christ au Check-point » - 15 mars 2012
- Les prisonniers politiques palestiniens - 3 mars 2012
- La biologie de la paix - 22 février 2012
- Vingt points sur Palestine/Israël - 14 janvier 2012

[...]

Une interview de Mazin Qumsiyeh :

- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 3 mars 2010

5 mars 2013 - Popular Resistance - traduction : Info-Palestine/JPP


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