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Arafat Jaradat, « un martyr qui s’ajoute à une longue liste » ?

mardi 26 février 2013 - 09h:13

Julien Salingue - RFI

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Colère, condamnations, mais aussi recueillement, 48 heures après la mort du détenu palestinien dans une prison israélienne, Arafat Jaradat, dont les funérailles se sont déroulées ce lundi 25 février près de Hébron en Cisjordanie. La branche armée du Fatah a dénoncé un « crime horrible » qui ne restera pas impuni. Et des milliers de personnes se sont donc rassemblées pour ces obsèques. Julien Salingue, docteur en science politique à l’université Paris VIII, répond aux questions de Caroline Paré

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Des Palestiniens portent le corps de Arafat Jaradat pour ses funérailles, le 25 février 2013.
Reuters / Whiteside




RFI : Arafat Jaradat est cet homme de 30 ans, qui a succombé samedi 23 février. Est-il un nouveau martyr de la cause palestinienne ?

Julien Salingue : En tout cas, c’est vécu comme tel dans les Territoires palestiniens puisque de toute évidence, si le jeune Jaradat âgé d’une trentaine d’années est décédé, c’est suite aux interrogatoires qu’il a subis par les services israéliens et c’est interprété par les Territoires palestiniens comme un énième cas de mort sous la torture dans les prisons israéliennes, puisque ce sera le 73e Palestinien mort sous la torture depuis 1967. Donc oui, un martyr de plus qui s’ajoute à une longue liste.

Justement, les résultats officiels de l’autopsie n’ont pas encore été publiés. Régulièrement, les organisations de défense des droits de l’homme s’alarment de la situation de ces prisonniers palestiniens.

Oui, depuis 2003, il y a eu plus de 700 plaintes qui ont été déposées pour des faits de torture dans les prisons israéliennes et aucune enquête diligentée par les autorités. Les ONG, que ce soient les ONG palestiniennes ou israéliennes ou même internationales (comme Amnesty International ou Human Right Watch), n’arrêtent pas d’alerter sur la situation des prisonniers, qu’il s’agisse de faits de torture ou tout simplement de conditions de détention, le fait qu’il y ait des détenus mineurs, et la situation assez dramatique d’un certain nombre de prisonniers qui sont à l’isolement, sans même parler de ceux qui sont en ce moment en grève de la faim pour exiger leur libération.

Puis un autre élément que dénoncent régulièrement les défenseurs des droits de l’homme, c’est la détention administrative. Autrement dit, des gens emprisonnés sans inculpation...

La détention administrative, c’est un emprisonnement sans inculpation, sans motif, sans charge et sans être déféré devant un juge. Ce sont des périodes de six mois renouvelables à l’infini. Aujourd’hui, on a à peu près 200 prisonniers palestiniens qui sont dans cette situation, ce qui est l’arbitraire le plus total puisque la justice militaire israélienne n’a pas besoin de présenter de preuves ou de motifs d’accusation, et ils peuvent garder des gens pendant un an, deux ans, trois ans, cinq ans dans les prisons, sans qu’ils soient jugés, sans qu’ils sachent s’ils vont être un jour libérés.

C’était le cas d’ailleurs pour Arafat Jaradat ?

Il venait tout juste d’être arrêté, et cinq jours après, il est mort dans les prisons. Les Israéliens disent qu’il est mort d’un arrêt cardiaque, mais ce qu’on lit dans la presse palestinienne, c’est que c’est quelqu’un qui avait une trentaine d’années, qui était en bonne forme physique. Il attendait un troisième enfant. Donc, il y a de forts soupçons quant aux conditions dans lesquelles il est décédé.

Il y a eu de nombreuses réactions côté palestinien. Ce matin par exemple, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a accusé Israël de vouloir créer le chaos. Pourquoi ces déclarations ? Est-ce qu’elles relayent le sentiment général ou bien c’est une forme de surenchère politique ?

Non, Mahmoud Abbas se contente de « coller » à la colère qu’il y a dans les Territoires palestiniens mais qui précédait en réalité la mort de Jaradat. La question des prisonniers, c’est une question essentielle dans la société palestinienne. Il y a des détenus qui sont en grève de la faim depuis maintenant plusieurs mois dans les prisons israéliennes. La veille de la mort de Jaradat, il y avait des manifestations de solidarité dans les Territoires palestiniens avec ces détenus. Il y a eu une centaine de blessés dans ces manifestations. Donc il y a une colère qui monte dans les Territoires palestiniens et c’est « logique » que Mahmoud Abbas s’aligne sur cette colère là pour ne pas être en décalage une fois de plus avec l’état d’esprit de la population.

Hier, il y avait une double réaction côté israélien : appel au calme et puis dans le même temps, ce déblocage de fonds, ces taxes collectées par Israël et qui étaient bloquées depuis que la Palestine avait accédé au statut d’observateur à l’ONU. Est-ce une forme d’aveu ?

Quelque part il y a une logique, mais en même temps une certaine hypocrisie. La logique, c’est que c’est de l’argent qu’Israël doit à l’Autorité palestinienne. Ce n’est pas un cadeau qu’ils leur font, mais c’est de l’argent qu’ils leur doivent. Cet argent sert principalement à payer les salaires des fonctionnaires. Et les fonctionnaires étaient soit à moitié payés ou pas du tout payés, depuis plusieurs mois. Et là, Israël demande dans le même temps à l’Autorité palestinienne de maintenir le calme, c’est-à-dire en gros de faire appel à ses forces de police pour maintenir le calme dans les Territoires palestiniens. Il ne manquerait plus qu’on leur demande de maintenir le calme sans être payés. Quelque part, oui, c’est un aveu d’une chose, c’est que tout simplement l’Etat d’Israël compte une fois de plus se décharger de ses responsabilités en exigeant que ce soit l’Autorité palestinienne qui maintienne le calme alors que les responsables du chaos qu’il pourrait y avoir dans les Territoires palestiniens sont les autorités israéliennes.

On peut d’ailleurs noter que ces dernières 48 heures, Benyamin Netanyahu est resté très discret, par exemple sur ces annonces. Ce n’est pas lui qui les a faites hier, mais un des porte-parole du gouvernement. Il faut dire qu’il est toujours empêtré dans ses tractations pour monter un gouvernement, n’est-ce pas ?

Il y a les deux aspects. Il est en train de négocier pour son gouvernement, donc il ne faut pas qu’il s’expose trop. Et puis tout simplement, il y a un vrai risque d’embrasement dans les Territoires palestiniens et des déclarations de Benyamin Netanyahu pourraient contribuer à enflammer. Et du coup, il pourrait porter la responsabilité directement d’un éventuel embrasement des territoires occupés, ce qu’il ne veut évidemment pas faire parce que cela serait une reconnaissance de sa politique, qui en réalité conduit la population palestinienne à chaque jour un peu plus protester contre la situation qui leur est faite.



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25 février 2013 - RFI


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