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« Cinq caméras brisées » nominé pour les Oscars est-il un film israélien, ou palestinien ?

mardi 15 janvier 2013 - 07h:02

Asa Winstanley - E.I

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Le film Cinq caméras brisées a été nominé pour un Oscar dans la catégorie du meilleur film documentaire long métrage, a-t-il été annoncé hier, 10 janvier. En octobre, j’ai réexaminé le film pour The Electronic Intifada, un film qui est le produit de reportages de plusieurs années de manifestations, par le cinéaste palestinien Emad Burnat.




En tant que film, Cinq caméras brisées est pertinent tant au niveau artistique qu’au niveau politique. C’est un film profondément personnel pour Burnat à bien des égards, tout en étant une chronique de la lutte de son village, Bil’in, contre le mur d’apartheid d’Israël et la politique israélienne de dépossession.

Dans un communiqué de presse de la société de production, Burnat réagit en apprenant que son film est nominé : « C’est l’un des moments les plus heureux de ma vie. Le village de Bil’in se réjouit du soutien international de mon film. Je me souviens des Oscars que je regardais la télévision quand j’étais enfant… Je ne me rappelle pas avoir vu de films sur la Palestine, l’occupation ou nos luttes. Les temps ont changé.  »

L’appropriation israélienne

Mais, alors qu’il s’agit d’une histoire profondément palestinienne, sur une lutte collective palestinienne, racontée par un Palestinien, la presse israélienne s’est presque immédiatement référée au film comme à un « film israélien », tout comme certains médias états-uniens, et elle s’en glorifie presque comme si c’était un produit national.

Même l’ambassade israélienne à Washington a tweeté sur un titre de The Forward, prétendant que l’oeuvre de Burnat était un « film israélien » :

Ambassade d’Israël

2 films israéliens figurent parmi les cinq nominés pour le meilleur film documentaire aux Oscars.

11 janvier 2013


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Le cinéaste palestinien Emad Burnat.

Mais Burnat aujourd’hui le conteste. Sur sa page Facebook, après avoir donné l’alerte sur la façon dont la presse israélienne le qualifiait, Burnat a déclaré qu’il s’agissait réellement d’un «  film palestinien… de mon histoire, l’histoire de mon village, l’histoire de mon peuple, sept ans j’ai travaillé sur le film. »

Guy Davidi, co-réalisateur du film, a déclaré dans un communiqué sur sa page Facebook que « le film est d’abord et avant tour un film palestinien », autant qu’un film israélien. Dans sa déclaration (que vous pouvez lire intégralement ci-dessous), David réfléchit sur certaines des complexités qui entourent le film – qui n’a reçu aucun financement d’Israël. (Davidi m’a aussi dit qu’un reportage sur lui et le film, diffusé par les Nouvelles internationales d’Israël, avait été totalement inventé, et que les Nouvelles ne lui avaient jamais parlé.

Développant sur ce point, David m’a dit dans une conversation en ligne : « Le film est considéré comme une production palestino-israélo-française étant donné qu’il y a de l’argent de ces pays, et moi, je suis israélien, Emad est palestinien, de mon avis personnel, je ne pense pas que les films doivent avoir une citoyenneté ».

A certains égards, ce débat rappelle le refus par l’Académie des Oscars du film d’Elia Suleiman, Intervention divine, il y a plus de dix ans, pour des motifs fallacieux. Mais cette fois, avec un résultat différent.

Pour les prochains Oscars, il y a une différence, parce que Cinq caméras brisées a été nominé dans la catégorie des films documentaires, et non pas dans celle du film étranger. Dans ce dernier cas, des comités d’un pays nomment officiellement les films au nom du pays. Cette question ne se pose pas alors dans un sens formel – contrairement à celles concernant le financement, le talent et la « nationalité » (si les films en ont une).

Boycott ?

Un financement israélien pourrait, pour certains, faire surgir le spectre du boycott pour ce film palestinien. En effet, l’an dernier, le célèbre universitaire Norman Finkelstein s’en est pris au mouvement pour le boycott, désinvestissement et les sanctions l’accusant d’« hypocrisie flagrante » en n’appelant pas au boycott de Cinq caméras brisés.

Mais ce n’était qu’un signe de plus de la triste dégénérescence de Finkelstein, qui a depuis porté encore plus d’attaques contre le mouvement de solidarité ces dernières années, notamment en calomniant le mouvement BDS d’être un « culte  ».

En fait, le mouvement a un critère strict, détaillé et spécifique quant à l’application du boycott culturel, et Cinq caméras cachés ne rentre pas dans ce critère. Selon les lignes directrices du boycott culturel, publiées par la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël :

« Les produits culturels individuels qui reçoivent des fonds d’État (israélien) dans le cadre du droit individuel du travailleur culturel en tant que citoyen contribuable, sans qu’il ou elle ne soit engagé à servir les intérêts politiques et de relations publiques de l’État, ne sont pas boycottables. »

Avant de rédiger mon article sur mon examen du film, j’ai écrit à PACBI et au comité national palestinien du BDS pour avoir confirmation de ma compréhension des lignes directrices et selon laquelle celles-ci s’appliquent au Cinq caméras brisées. Les deux m’ont confirmé que c’était bien le cas, et que le film n’était pas boycottable dans le cadre du mouvement BDS.

Des militants dans les pays arabes, cependant, appliquent des règles plus strictes que celles des campagnes anti-normalisation.

Mais PACBI a mis en garde, car certaines projections du film «  pourraient être boycottables si elles étaient parrainées avec un financement d’une marque israélienne », évoquant la projection du film au festival canadien de Hotdocs l’an dernier, qui avait reçu de l’argent du consulat israélien.

Davidi a répondu que Hotdocs avait fait la demande pour ce financement à son insu. « Le festival a reçu le parrainage, pas nous. Tout s’est passé sans que nous le sachions, je l’ai appris seulement après la projection, » a-t-il expliqué.

Le festival semble en effet avoir étouffé ce financement, car cela ne figure pas sur site web à la page des mécènes, ni sur les copies de la page faites à l’époque.


Déclaration intégrale de Guy Davidi

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Je voulais écrite quelques mots pour ce jour très compliqué. Quand un film réussit, vous êtes censé vous détendre et vous en réjouir, mais quand un film comme Cinq caméras brisées réussit, tout un tas de défis compliqués se font jour. Chaque côté a immédiatement son interprétation sur le cinéaste ou sur le film. Certains sont des Israéliens qui s’approprient immédiatement le film comme une fierté nationale ou une fierté pour leurs arts nationaux, mais ils cachent ou oublient totalement le fait que c’est d’abord et avant tout aussi un film palestinien. Même si un film ne doit pas avoir de citoyenneté. D’un autre côté, il y a aussi des militants qui réagissent en se sentant offensés par cette appropriation et comptent sur des réactions vives en réponse ; le genre de déclarations qui supprimeraient toute possibilité au film de toucher un public un peu plus large. Il y a de gentils Israéliens, certains au sein de l’establishment lui-même, qui ont soutenu le film et se sont exprimés sa en faveur, telle la Nouvelle Fondation pour le Cinéma et la Télévision (NFCT), qui fut parmi les partisans les plus incroyables et les plus acquis de la réalisation du film, et qui se trouve confrontée à un système établi qui menace son existence et son indépendance. Et il y a aussi les Palestiniens et le monde arabe, pour qui ce détail rend le film difficile à accepter, et le film ne peut même pas être projeté à l’écran à cause de cela.

Il y a une lutte non violente qui fait face aux défis non seulement de l’occupation israélienne mais aussi à ceux de l’intérieur, et le tableau d’un partenariat avec les Israéliens représente un défi compliqué, un réalisateur palestinien pourrait faire l’objet d’attaques pour cela. Et puis il y a les journalistes et les rédacteurs en chef qui sont à l’affût d’une demi-phrase, d’un quart de phrase qu’ils peuvent brandir, et placer le réalisateur de gauche dans un espace provocant et rassurant, et le réalisateur palestinien dans un espace nationaliste et rassurant. Et il y aura beaucoup d’échanges pendant une courte période, puis toute l’affaire sera oubliée et le public se réjouira qu’il n’y ait rien de neuf sous le soleil, de pouvoir continuer à vivre sa vie sans être dérangé ni inquiété. Et là, toute réussite qui a pu être obtenue se trouve étouffée. C’est un jour de joie et de tristesse. De joie, on sait clairement pourquoi, mais de tristesse, voir la capacité d’aborder un débat délicat et compliqué.




Ndp  :


Emad Burnat revient sur Five Broken Cameras par Universcine




Lire aussi :

- À hurler de Pierre Foglia - 22 novembre 2012

Asa Winstanley est un journaliste indépendant, basé à Londres et qui a vécu et écrit en Palestine occupée. Son premier livre, Corporate Complicity in Israel’s Occupation a été publié par Pluto Press. Sa rubrique La Palestine est toujours la question paraît chaque mois. Son site : www.winstanleys.org

Sur Info-Palestine :

- Walid Khalidi : « Avant leur Diaspora »
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11 janvier 2013 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine/JPP


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