La tragédie des Palestiniens en Syrie, et la centralité du Droit au retour
vendredi 4 janvier 2013 - 16h:15
Ramzy Baroud
Cela devait être en 2007, bien que je ne puisse pas me rappeler la date précise. Je me souviens avoir perdu beaucoup de temps à trouver où était le siège du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies à Rome. S’y tenaient une réunion d’ONGs et une sorte d’Assemblée Générale à laquelle participaient plusieurs ambassadeurs de l’ONU et consacrée à « la question de la Palestine ». J’avais été invité à y participer au nom d’une ONG. Timidement, j’avais accepté.
- 19 décembre 2012 - Enfants Palestiniens enfuis du camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie, et attendant au passage frontière de Masnaa pour pouvoir entrer au Liban
Sachant à l’avance comment ce genre de réunions se concluent le plus souvent - reprendre d’anciennes déclarations, rabâcher de vieux textes, réaffirmer ceci et cela - j’y participais néanmoins. Le sujet de la discussion était les réfugiés Palestiniens, lesquels pour la grande majorité des Palestiniens - excepté l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas - représentent toujours le noyau de n’importe quelle solution équitable à la lutte palestinienne vieille de plusieurs décennies, pour la liberté et les droits. Je me sentais poussé par une grande sensation d’urgence sur la nécessité de répéter et reconfirmer le texte officiel des Nations Unies. Quelques jours plus tôt à Londres, j’avais reçu un appel téléphonique qui m’avait bouleversé.
Celui qui m’appelait était un jeune Palestinien nommé Hossam, échoué à la frontière entre la Jordanie et l’Irak. Deux de ses frères avaient été tués en Irak ces derniers mois. L’un assassiné dans le quartier de Baladiat à Bagdad, où vivaient principalement des réfugiés Palestiniens, et l’autre aassassiné par des militaires américains.
Avant l’invasion par les États-Unis en 2003, une petite communauté de 35 000 Palestiniens vivait en Irak. Ils étaient intentionnellement tenus à l’écart de n’importe quelle participation à la vie politique dans le pays, et à la différence des Palestiniens réfugiés au Liban, ils étaient bien traités. Mais après l’invasion américaine, ils sont devenus des cibles faciles pour différentes milices, les forces occupantes et les bandes criminelles. Beaucoup ont été tués, particulièrement ceux qui n’avaient pas les moyens de payer les lourdes rançons imposées au hasard par les gangs armés. La plupart des réfugiés se sont enfuis, cherchant refuge ailleurs dans le pays et quand cela n’était plus possible, jusque dans les pays voisins.
Permettre à des Palestiniens d’entrer dans les pays Arabes n’est pas aussi simple. Des milliers d’entre eux se sont donc retrouvés bloqués dans des camps de réfugiés nouvellement construits aux frontières de la Jordanie et de la Syrie. Ils ont survécu, certains pendant des années, affrontant les dures conditions du désert et grâce aux aides des Nations Unies. Pour finir, un bon nombre de ces réfugiés ont été dirigés vers divers pays non-arabes. C’était encore une fois le spectacle pitoyable d’une trahison des Palestiniens par les régimes arabes. Plus un de ces régimes parlera avec passion de la Palestine, moins il se préoccupera de la situation difficile et réelle des Palestiniens. L’Histoire a de tous temps été cruelle à cet égard.
Hossam voulait simplement rentrer en Jordanie. Il y était né et y avait grandi, mais son permis de résidence fut arbitrairement supprimé, comme c’est souvent le cas quand les Palestiniens réfugiés augmentent en nombre et finissent par poser un souci démographique au pays d’accueil. Il m’a donc demandé de l’aider, m’expliquant que sa mère était très âgée et qu’il était le seul fils qui lui restait.
Naturellement, j’étais, et je reste, impuissant. Cependant, quand je me suis vu invité à la réunion de Rome où il était question des réfugiés, j’ai alors pensé que ce serait une plate-forme appropriée pour que les difficultés de Hossam soient exposées dans un contexte politique d’urgence. Ce ne fut cependant pas le cas, les habituelles déclarations prenant le pas sur les préoccupations actuelles apparemment jugées insignifiantes.
Les Palestiniens réfugiés en Irak avaient le droit de revenir en Palestine. Ceux ayant le courage moral de s’exprimer ainsi, comme les ambassadeurs des Nations Unies à Rome, n’ont cependant aucun pouvoir excepté celui de faire d’ardents discours. Ceux capables de proclamer les résolutions des Nations Unies, depuis longtemps négligées et qui insistent sur le Droit au retour pour les Palestiniens réfugiés, sont cependant dociles face aux pressions des États-Unis et à la détermination disraélienne à nier ce droit à la population indigène. La Résolution 194 des Nations-Unies, qui date du 11 décembre 1948, n’est encore aujourd’hui que de l’encre sur du papier.
Tant qu’Israël continuera à se moquer du droit international, les millions de Palestiniens réfugiés demeureront prisonniers de rivalités régionales où ils sont politiquement exploités, ou considérés comme un problème démographique, ou pire encore, comme une menace. Et les États-Unis s’assurant qu’aucune mesure significative n’est prise pour alléger la souffrance des réfugiés, des milliers d’entre eux continueront à s’agglutiner aux frontières, faisant la queue pour la nourriture et défendant leur cause devant quiconque est disposer à les écouter.
La Syrie est maintenant le dernier épisode de cette longue tragédie, qui s’est développée comme jamais depuis la guerre civile libanaise (1975-1990) et les invasions israéliennes du Liban (1978 et 1982). Il y a douze camps de réfugiés en Syrie. Neuf d’entre eux sont officiellement enregistrés en tant que camps par l’UNRWA [UN Relief and Works Agency] et ils hébergent une population de plus de 496 000 réfugiés. Le camp de Yarmouk à lui seul, près de Damas, héberge près de 150 000 réfugiés. Ce camp a été régulièrement la cible de différents groupes militants et des forces syriennes. D’autres camps ont également été visés dans ce violent conflit, dont notamment Dera’a, Husseinieh et Neirab.
Des centaines de Palestiniens ont été tués en Syrie. Ils ont été soit entraînés dans le conflit sanglant entre le gouvernement syrien et l’opposition, soit délibérément pris pour cible sous un prétexte ou un autre. L’épisode violent le plus récent, qui a presque vidé le camp de Yarmouk, a débuté le 14 décembre quand des militants islamistes ont, semble-t-il, attaqué les Palestiniens fidèles au gouvernement syrien du Président Bashar Assad. Une contre-attaque incluant un raid aérien a frappé le camp, faisant beaucoup de morts et de blessés. Un exode s’en est suivi et un nouveau chapitre de l’odyssée palestinienne était écrit par la force, accompagné de sang et de souvenirs encore plus atroces. Des dizaines de milliers de réfugiés se sont sauvés. Certains se sont rendus dans les camps palestiniens déjà surpeuplés du Liban. D’autres s’en sont vus refuser l’entrée, et ils campent à présent dans les parcs de Damas, faisant une fois de plus la queue pour obtenir les aides des Nations Unies. Le Programme alimentaire mondial semble avoir la responsabilité de nourrir les réfugiés. Dans une déclaration récente, l’UNICEF [agence des Nations Unies pour l’enfance] coordonne ses efforts avec l’UNRWA, le Croissant Rouge Arabe syrien [SARC], et le Haut Commissariat pour les réfugiés (UNHCR).
Aucun mot ne peut réellement décrire la si pénible situation des millions de réfugiés syriens innocents entraînés dans un jeu de pouvoir régional qui n’a aucune sorte de respect pour les trois millions de réfugiés déplacés à l’intérieur du pays ou dans les pays limitrophes. Mais la situation pour les Palestiniens, en Syrie et ailleurs, continue à être une particularité encore pire, toutes les fois que des conflits éclatent dans un pays arabe - comme dans le cas de la Jordanie, du Liban, du Koweït, de l’Irak, de la Libye et maintenant de la Syrie. C’est toujours la même vieille histoire qui se répète et qui devrait une bonne fois pour toutes, être traitée comme une crise humanitaire et politique et non pas simplement comme une question conjoncturelle.
La Direction palestinienne porte une grande part de responsabilité, puisqu’elle a relégué au second plan la question des réfugiés - c’est-à-dire le Droit au retour - la réduisant à une question à traiter d’une manière ou d’une autre lors de négociations avec Israël pour un statut final. Ces discussions n’ont naturellement jamais eu lieu, et selon les documents révélés au grand jour, il s’avère que l’Autorité palestinienne avait totalement abandonné les réfugiés à leur sort, lors d’entretiens tenus secrets avec des officiels israéliens.
La plupart des Palestiniens réfugiés en Syrie ont été chassés de Palestine en plusieurs étapes. La première vague est arrivée en 1948, venant en grande partie de Safad, de Haïfa et de Yaffa. Le deuxième vague est arrivée après l’occupation par Israël des Hauteurs du Golan en 1967, et la troisième pendant la guerre civile au Liban et les guerres lancées par Israël contre ce même pays. C’est une tragédie à plusieurs niveaux et qui dure dans le temps. En vérité, cela exige de doubler les efforts pour protéger et prendre soin des réfugiés, mais cela exige également un réexamen sérieux de l’attitude méprisante de la communauté internationale envers ces mêmes réfugiés. Ceux-ci ne peuvent être réduits à une multitude fuyant des conflits arabes ; ils représentent par eux-mêmes une crise politique et morale grave qui exige une action immédiate sous l’égide des droits des Palestiniens, tels qu’ils sont reconnus par le droit international.
Paradoxalement, c’est l’ambassadeur israélien aux Nations Unies, qui a replacé le Droit au retour dans un contexte politique, dans sa son réponse à la désapprobation manifestée face à l’expansion des colonies juives à Jérusalem par les membres du Conseil de Sécurité. Le 20 décembre, Prosor a affirmé que ce n’était pas l’expansion des colonies - toutes illégales au regard du Droit international - qui devait être considérée comme un obstacle à la paix, mais plutôt l’insistance des Palestiniens à revendiquer leur Droit au retour. Son argumentation était à la fois biaisée et dépourvue de sensibilité. Tandis qu’Israël continue son nettoyage ethnique de la Palestine pour faire de la place aux colons juifs, les réfugiés en Syrie et au Liban luttent pour la survie comme l’ont fait trois générations de réfugiés durant les 64 dernières années. D’une certaine manière, exiger que soient respectés les droits d’enfants effrayés et de mères implorantes - selon le droit international - représente une menace majeure pour la version israélienne de la paix.
Si la tragédie des réfugiés en Irak semblait insuffisante pour rappeler le rôle central de la crise des réfugiés palestiniens et le droit inaliénable de ces réfugiés, la véritable calamité qui leur arrive en Syrie ne devrait laisser aucun doute sur le fait que la question des réfugiés est une partie intégrante de la narration palestinienne, comme cela devrait être le cas dans n’importe quel discours politique digne de ce nom..
Le Droit au retour n’est pas simplement l’étude rétrospective d’une histoire émouvante faite de souvenirs d’une génération en train de disparaître. Ce droit mérite d’être traité comme une priorité politique extrêmement urgente avec une dimension humanitaire également pressante. Les Palestiniens une fois de plus meurent sur les routes et toutes les actions entreprises doivent viser à aider ces réfugiés à faire face au conflit en Syrie et à rentrer dans leur patrie : la Palestine.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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27 décembre 2012 – The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/nakba...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach