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La petite fille au blouson vert...

dimanche 16 septembre 2012 - 19h:42

Ramzy Baroud

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La mer a-t-elle toujours été aussi cruelle ?

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Cette fillette a été retrouvée morte

La petite fille était vêtue d’un pantalon bleu et d’un petit blouson vert. Ses cheveux étaient finement tirés en queue de cheval, probablement noués par sa mère. Le jeudi devait pour elle être un jour spécial, un fait souligné par les détails soigneusement choisis de sa tenue - des couleurs assorties entre les chaussettes et le blouson, des tennis blanches avec des étoiles bleu foncé imprimées sur les côtés. Mais ce jour-là, la petite fille palestinienne devait trouver la mort, en même temps que toute sa famille et bien d’autres.

Une embarcation de fortune remplie de nombreuses personnes, dont des familles au complet, a coulé à une centaine de mètres au large de la côte occidentale turque dans la mer Egée jeudi dernier. Il a été rapporté que les femmes et les enfants étaient confinés au fond du bateau. Lorsque le navire surchargé à frappé les rochers et a commencé à couler, beaucoup ont nagé jusqu’à la rive. Les plus faibles se sont noyés. La plupart de ces migrants morts par noyade étaient Palestiniens, selon Reuters et The Guardian, mais il y avait aussi des Irakiens et des Syriens. « Le dernier bilan que nous avons des tués est de 60 personnes : 11 hommes, 18 femmes et 31 enfants dont trois bébés », a déclaré Tahsin Kurtbeyoglu, gouverneur turc de la zone côtière de Menderes dans la province d’Izmir.

Certaines des victimes étaient des Syriens, qui doivent désormais se trouver en tête dans la liste de ceux qui ont le plus de chance de mourir en mer - ou ailleurs - alors qu’ils tentent d’échapper à une guerre terrible. Quelques jours à peine avant le naufrage du bateau, six Syriens, dont deux enfants, sont morts noyés. Leur bateau avait coulé au large de la péninsule de Karpas, près de la côte au nord de Chypre, à près de 100 km de leur point de départ.

Les trafiquants d’êtres humains vivent un âge d’or, alors les conflits générés au cours du printemps arabe ont soit poussé des centaines de milliers de personnes à quitter leurs pays d’origine, soit ouvert des possibilités de traverser des frontières et encouragé à fuir d’autres migrants misérables et désespérés.

Les pays européens s’acharnent à empêcher qu’ils soient une destination finale, ou même simplement un tremplin, pour les réfugiés en fuite. En fait, un système européen de surveillance des frontières extérieures (EUROSUR) a été impulsé dans le but même de « réduire le nombre d’immigrants illégaux qui entrent l’Union européenne sans être repérés ». Aucune importance que beaucoup de ces immigrants fuient pour sauver leur vie afin d’échapper à des conflits qui produits par ces mêmes puissances qui sont si déterminés à faire d’EUROSUR un succès splendide... C’est de l’hypocrisie à l’état pur.

Oublié le fait que l’Italie était une puissance coloniale qui a occupé la Libye entre 1911 et 1943 et qu’elle n’a rien fait depuis pour remédier aux torts incroyables qu’elle a causé (à la limite génocide) dans cette période cruelle ! Mais on ne peut tout de même pas ignorer que l’Italie était le membre le plus fervent et plus en avant de l’OTAN dans les bombardements de la Libye l’an dernier.

Pendant plusieurs jours, des avions de chasse italiens ont décollé de leur base aérienne en Sicile et d’autres endroits, remplissant fidèlement leur travail mortel puis rentrant sains et saufs. L’agression était justifiée par une logique aberrante qui prétendait que cette guerre voulait prévenir une catastrophe humanitaire. Mais ce souci humanitaire fit complètement défaut lorsque de misérables réfugiés ont voulu saisir l’opportunité de l’ouverture de l’immense côte libyenne pour tenter une traversée vers l’Italie ou les pays voisins. Ils ont été systématiquement repoussés par la marine et la garde côtière italiennes.

Il est juste de supposer que lorsque ces personnes - des êtres humains - risquent leur vie dans ces traversées mortelles, elles le font par désespoir absolu. Dans certains cas, s’aventurer sur une mer impitoyable représente une plus grande chance de survie que de rester chez soi. La petite fille palestinienne aux chaussettes vertes et à la queue de cheval a été emmenée depuis un camp de réfugiés et entraînée dans un parcours semé d’embûches parce que ses parents rêvaient d’une vie meilleure pour elle et pour ses frères et s ?urs.

Lorsque le motif est la simple survie, la question n’est pas d’imaginer que la sécurité européenne est compromise par des hordes de migrants en quête de richesses. C’est un grave problème humanitaire, qui exige que les migrants soient traités comme des victimes et non des agresseurs. Mais pendant des années, les forces marines et les gardes-côtes de l’Europe ont mis en ?uvre une politique de « push-back » [repousser en arrière] - qui revient à renvoyer ces réfugiés à la mer.

La question n’est pas un débat académique sur les frontières et la politique. Des gens meurent, et des milliers de ces décès ne sont même pas mentionnés ni signalés. Selon les estimations du Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) 1500 personnes sont mortes dans la mer Méditerranée dans la seule année 2011. Le site Forteresse Europe - qui relève de tels chiffres - estime le nombre à plus de 2000, disant que plus de 13500 migrants ont péri en mer depuis 1998. Certains prétendent que le nombre est susceptible d’être beaucoup plus élevé. Les disparitions en mer de réfugiés demandeurs d’asile sont une réalité quotidienne.

Dans un rapport intitulé « morts dissimulées de migrants en situation d’urgence et morts en Méditerranée (Août 16) », Human Rights Watch (HRW) a critiqué (bien que légèrement) l’approche européenne de la crise totalement centrée sur la sécurité. Il indiquait que ces dernières années, le nombre de migrants qui atteignent l’Europe a fortement diminué, mais pas parce que les raisons impérieuses à l’origine de la fuite de ces réfugiés ont été traitées et résolues. « Les chiffres ont fortement baissé de 2009 à 2010, reflétant la politique abusive de l’Italie consistant à intercepter et renvoyer sommairement les bateaux de migrants vers la Libye en 2009, et l’étroite collaboration européenne avec les pays d’où partent les migrants, » a expliqué le HRW.

Mais en en 2011, le nombre de réfugiés de la mer a fortement augmenté en raison des conflits en Afrique du Nord. Cela a relancé des politiques hyper restrictives des pays européens, même si le problème nécessite une approche beaucoup plus humaine et à grande échelle.

« L’Europe a la responsabilité de veiller à ce que la prévention des décès en mer soit au c ?ur d’une approche coordonnée à l’échelle européenne des migrations par bateau, et ne soit pas dépendante de ’coups politiques’ intéressés », affirme le HRW. Mais il faut faire plus, notamment en trouvant le point commun entre la plupart des réfugiés en mer. Ce n’est pas la seule pauvreté qui pousse ces personnes à chercher le salut. Les trois nationalités qui dominaient sur le bateau qui a récemment coulé près de la Turquie étaient des Palestiniens, des Syriens et des Irakiens. Un des points communs, c’est qu’ils étaient tous victimes de conflits qui ont été financés ou encouragés par des puissances extérieures, parmi lesquelles on trouve des pays européens. Beaucoup de réfugiés venus de Libye seraient restés chez eux si les bombardiers italiens étaient restés dans leurs bases.

La petite fille à la veste verte a été retrouvée sans vie. Quand un garde-côte turque a porté son frêle petit corps hors de l’eau, ses bras étaient déjà raides mais ses cheveux étaient toujours finement peignés. Il existe de nombreux autres enfants comme elle... tout bien habillés les jours pas comme les autres, mais ignorants de tous les drames qui peuvent survenir.

*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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11 septembre 2012 - Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Niha & Claude Zurbach


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