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Les Palestiniens sur le chemin de Damas

mardi 11 septembre 2012 - 07h:23

Ahmad Diab

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D’un point de vue purement palestinien, on pourrait arguer que les Palestiniens ont toujours eu davantage de raisons encore que leurs homologues syriens de se soulever contre le régime Assad. Le régime les a opprimés au nom de l’unité arabe et de la défense de leur cause.

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Réfugiés palestiniens en Syrie (wordpress)

Par une chaude journée de l’été 2011, les habitants du quartier assiégé Al-Khaldyeh à Homs cherchaient à identifier les corps de deux hommes. Il y avait quelque chose d’inhabituel sur ces corps même selon les critères syriens déjà malsains et sanglants. Il y avait plusieurs squelettes portant des treillis usagés, et quelques effets personnels. L’exhumation de leurs corps était le dommage collatéral d’une bombe perdue. Ils avaient été soufflés de leur tombe de fortune, non marquée et peu profonde, par les obus de l’armée syrienne contre le quartier rebelle. Les habitants décidèrent que les affaires dataient clairement des années ’80, et les treillis militaires étaient palestiniens.

L’histoire des Palestiniens syriens, comme celle de la plupart des Syriens, est celle de tant de squelettes enfouis qui sont soudainement projetés à l’air libre, mais qui évoquent terriblement des problèmes sous-jacents.

La Syrie héberge environ un demi-million de réfugiés palestiniens, dont la grande majorité sont nés sous une dictature qui les opprime et opprime son propre peuple au nom de l’unité arabe et de la fermeté à l’égard du sionisme et de l’impérialisme. Leurs géographies imaginaires et vécues ne pourraient être plus dissemblables. Ils connaissent les rues de Homs, Alep, Deraa et Damas sur le bout des doigts. Leurs écoles, nommées d’après leurs villes et villages en Palestine, arborent le drapeau des Nations Unies.

Comme leurs frère syriens, une fois en dixième, ils pouvaient être enrôlés d’office dans le Parti Baas. Leurs cartes d’identité sont pareilles à celles des Syriens, seule différence : les mots « résidence temporaire » au-dessus. Leurs documents de voyage pourraient être pris pour un passeport syrien s’ils n’étaient d’une nuance de bleu plus pâle - et la mention mal orthographiée « Document de voyage pour réfugiez palestiniens » sur la couverture. Beaucoup de Syriens palestiniens passent leur vies temporaires dans des bidonvilles qui sont toujours appelés « camps ». Ils suivent les actualités de Jénine et Gaza comme si c’étaient les leurs. Ils n’ont jamais eu l’autorisation d’y mettre un pied. Ils commémorent religieusement les dates des victoires, défaites et massacres palestiniens. Ils sont aussi obligés de tenir des rassemblements saluant le régime syrien et ses victoires. La plupart des camps ont leur propre Oncle-Tom (*) résident palestinien. Ils le haïssent parce qu’ils ont besoin de ses permis pour se marier, travailler ou voyager, mais ils ont vite fait d’apprendre le proverbe syrien : « baise la main qui te gifle et prie [secrètement] pour qu’elle soit coupée ».

Du point de vue du droit, les Palestiniens sont bien intégrés dans le système légal et traités équitablement par rapport aux Syriens. La plupart de ces droits concernent les droits de succession et sont antérieurs au Parti Baas. Certains remontent à des amendements parlementaires de 1956 ; d’autres, comme l’attribution de documents de voyage à des Palestiniens syriens, sont un héritage nasserien, quand la Syrie était dans la République Arabe Unie avec l’Egypte. Une fois au pouvoir, le Baas ne les a pas révoqués - c’est à son crédit.

Néanmoins, la logique derrière le statut légal des Palestiniens est un vestige paternaliste d’une époque où les pays arabes étaient les gardiens autoproclamés du destin des Palestiniens. L’idée était la suivante : les Palestiniens oublieraient leur terre et leur cause. Pour cette raison, alors qu’ils ont la plupart des droits civils de leurs concitoyens syriens, ils ne peuvent ni voter ni obtenir de passeport syrien. Bien plus : ils doivent accomplir le service militaire comme les Syriens. Ils sont généralement enrôlés soit dans l’armée de libération alignée sur la Syrie, soit dans l’armée syrienne.

Du point de vue des faits, le Baas discrimine également quiconque n’obéit pas à la version officielle de l’histoire. Dans les faits, personne n’a aucun droit significatif sous un régime autoritaire. On pourrait dire que la révolution a démarré parce que la majorité des Syriens sentaient qu’ils n’étaient pas intégrés dans l’Etat syrien.

Dictature, le point de vue d’un réfugié palestinien

L’égalité dans la souffrance politique ne confère l’égalité au sein de la collectivité des souffrants. Des Syriens discriminent les Palestiniens selon des modalités qui ne diffèrent guère de la manière dont ils discriminent leurs compatriotes syriens. Comme le reste du Levant, la Syrie est un pays où presque chacun et chacune se prend pour le Professeur Higgins : dans Pygmalion de Bernard Shaw [« My Fair Lady »], le professeur de phonétique est capable de situer [l’origine de] n’importe quel humain à quelques lieues près. Les Syriens, eux, sont capables de détecter les nuances dialectales les plus subtiles ; une voyelle plus brève ou plus longue, et vous êtes automatiquement classé comme « l’autre ». Pour les autres Palestiniens, les Palestiniens syriens parlent un peu comme les Syriens ; mais pour les Syriens, leurs accents les signalent comme n’étant pas vraiment d’ici (sauf peut-être dans la province de Deraa). Ne pas être d’ici peut faire un monde de différence en un lieu où avoir les bonnes connexions est indispensable pour naviguer dans l’appareil omniprésent de la Sécurité d’Etat. Ne pas être d’ici signifie que vous pouvez vivre dans une ville toute votre vie sans jamais être “Ibn Balad” ou « de la ville » ni jouir d’aucun des privilèges tacites jalousement préservés que confèrent ce genre d’étiquettes.

Un demi-siècle d’autoritarisme brutal signifie que la mémoire vécue est livide : livide devant les crimes du régime mais plus encore devant sa propre lâcheté et sa propre impuissance face au régime.

La plupart des Syriens ont traversé un rituel de pacification. Cela veut dire que l’oppression laisse filtrer une micro-strate de pouvoir à la fois. Un réfugié est tout au fond. Pour chaque travailleur palestinien intégré, peintre, acteur ou membre du parti, il y a au moins deux marginaux déscolarisés, sans travail ni droit de vote. Pour chaque histoire de mariage mixte avec un Syrien, il y a une histoire de fugue amoureuse ou d’amours contrariées, parce que concernant « un salaud de Palestinien ou un salopard de réfugié ». Ces problèmes hantent tous les Syriens. Les Palestiniens ne peuvent y échapper et sont généralement moins bien équipés pour les gérer que leurs homologues syriens, puisqu’ils ne sont « pas-à-leur-place ».

La dictature érige ce que les Syriens nomment « le mur de la peur ». Un mur virtuel édifié sur les représailles brutales de al-Amn ou al-Mukhabarat (les services de renseignement et de sécurité) du régime. Rien n’échappe à ces murailles. Les mémoires d’un prisonnier politique syrien parlent d’un compagnon de prison détenu pendant plus d’une décennie à cause d’un rêve qu’il avait eu. L’auto-préservation exige le silence. L’apathie devient le modus operandi du citoyen moyen, tandis que l’ignorance prospère comme une moisissure sur le mur de la peur.

Les Palestiniens doivent quitter les écoles de l’UNWRA pour des écoles publiques en dixième année. Je me souviens de mon premier jour dans ma nouvelle école secondaire, quelqu’un m’a demandé : « Alors tu rentres en Palestine tous les jours après l’école ? » J’ai ri et je lui ai expliqué « Non, nous vivons à cinq minutes à pied d’ici ». Il apparut que notre maison était plus proche de l’école que la sienne. La naïveté révélée par cette question n’était pas simplement le fait de notre jeune âge à l’époque. Il était syrien. J’étais sans doute le premier Palestinien qu’il rencontrait. Dans l’imaginaire collectif de la Syrie baasiste, la Palestine était un sujet éculé, un lieu commun et au mieux un endroit, mais certainement toujours éloigné de la réalité vécue de la majorité des Syriens. L’ignorance manifestée dans la question de mon ami n’était pas un signe d’ignorance de la politique régionale ni du fait que la Syrie a une importante communauté de réfugiés palestiniens de deuxième ou troisième génération vivant en son sein. C’était plutôt un symptôme de la vie sous dictature, à savoir une connaissance entravée de son propre quartier, de sa propre ville.

La loi de l’autoritarisme signifie que la plupart des questions sont bannies ; le peu de questions autorisées ont des réponses toutes prêtes manufacturées/agréées par l’Etat. Cela voulait dire que la société syrienne, tellement diverse, devait devenir uniforme et monotone. Il en est résulté un pays où presque tout était réduit à une caricature stéréotypée.

Pour les autres Syriens, les Damascènes étaient de rusés citadins, Homs la ville des fous, Hamah à visiter uniquement pour ses desserts au fromage Halawet el Jibn et seuls les alaouites prononcent le « Qaf » et boivent du maté. Par extension, les Palestiniens étaient des victimes lointaines célébrées chaque jour à la télévision d’Etat et à l’école.

Aujourd’hui la plupart des Syriens sont dans un état de stupéfaction. Comme les Homsites de Khaldiyeh, ils contemplent les identités de corps soudainement dénudés. Comment se fait-il qu’ils n’ont jamais connu leur propre pays, leurs villes et villages, ou leurs voisins, sans parler de leurs Palestiniens ? Ils ont entendu parler de lieux comme Jarjanaz, ?Amouda et Kafr Anbel pour la toute première fois pendant ces 17 derniers mois de la révolution. Ces endroits qu’ils pensaient connaître ne sont venus à la vie que par des vidéos YouTube relayées par des chaînes d’actualités régionales.

La culture de l’ignorance diffusée par le régime Baas a eu des effets dévastateurs sur la société syrienne en général.

S’agissant des relations avec des Palestiniens, elle a enterré tout type d’affiliation et d’apparentement réels, historiques entre Palestiniens et Syriens sous un tas de discours officiels de camaraderie arabe qui, au fil du temps sont devenus de plus en plus creux. Cumulée à la peur, cette culture a facilité une méfiance galopante entre les citoyens. Invariablement, ce sont des communautés minoritaires privées du droit de vote comme les Kurdes et les Palestiniens qui ont le plus souffert de telles conditions.

Le temps de la révolution

Un terme populaire né des conditions précaires dans lesquelles les Palestiniens se sont retrouvés pendant la révolution syrienne est « neutralité positive ». Ses implications d’oxymoron ne sont pas complètement nouvelles pour les Palestiniens, pensons à « L’Optissimiste » d’Emile Habiby. Elles déterminent la paradoxale im/possibilité d’action disponible aux Palestiniens. D’un côté, les Palestiniens sont de fait syriens dans leurs expériences vécues. Tous deux comprennent et sentent l’oppression contre laquelle les Syriens se sont levés parce qu’eux-mêmes y étaient assujettis. Par ailleurs, leur statut formel de non­-citoyens et le destin de communautés palestiniennes depuis longtemps établies dans le sillage de soulèvements régionaux (Lybie 1990, Koweït 1991, Iran 2003, Liban 1975, 1982, 2006) servent de rappel concret de l’évanescence de leur statut. Avec le refus d’Israël, depuis des décennies, de rapatrier ces Palestiniens dans leurs foyers ancestraux de Galilée, une fois hors de Syrie ils sont traités comme apatrides et la plupart des pays vont comme d’habitude leur refuser l’entrée.

D’un point de vue purement palestinien, on pourrait arguer que les Palestiniens ont toujours eu davantage de raisons encore que leurs homologues syriens de se soulever contre le régime Assad. Le régime les a opprimés au nom de l’unité arabe et de la défense de leur cause. Entre l’UNWRA ardemment apolitique et le régime à dominance autoritariste, les camps ne pouvaient offrir de refuge politique aux Palestiniens. Ce qui a entraîné un arrêt complet de tout activisme politique significatif au sein d’une communauté ayant une longue tradition pour s’organiser et faire face tous les jours aux dilemmes existentiels.

Pendant des décennies, le régime Baas a subverti toute option radicale ou militante disponible aux Palestiniens de Syrie, sous le prétexte d’attendre le bon moment, ou Godot.
Sous couvert d’opposition aux Accords d’Oslo, il a syrianisé la représentation politique palestinienne en Syrie et l’a largement réduite à une copie-carbone de cette marionnette syrienne qu’est le Front national Progressiste. Tout comme le Parlement syrien est devenu le tampon caoutchouté des oukases du régime, de la même manière, la nature et le caractère des factions palestiniennes à Damas ont été restructurés pour s’adapter aux besoins politiques du régime. La légitimité de ces factions provenait finalement de leur bénéfice stratégique régional pour le régime Baas plutôt que d’une vraie représentation locale de l’état d’esprit régnant dans les rues et les allées des camps de Homs, Hama et Deraa. Cette alliance entre le leadership de factions palestiniennes en Syrie et le régime Baas a bien fonctionné pour maintenir les deux au pouvoir et contourner es aspirations de leurs deux électorats.

Pour le régime Baas, les Palestiniens n’ont été en général un atout de plus à jouer, quand et comment cela leur convenait. Dans les premières semaines du soulèvement, le régime s’est démené pour offrir son propre récit dans la concurrence.

Buthayna Shaaban, la professeure-de-littérature-devenue-porte-parole-présidentielle, a formé les reporters à la psychose xénophobe. Elle n’a rien trouvé de mieux que la minuscule communauté palestinienne paupérisée de la ville côtière de Latakia comme bouc émissaire pour les outsiders louches oeuvrant à attiser la violence dans le pays.

Dans les premiers mois de la révolution, acculé par la pression interne des manifestants pacifiques, le régime signala à l’une des factions palestiniennes amies au sein [du camp] de Al-Yarmouk - geste sans précédent dans toute l’histoire moderne du régime - qu’il n’arrêterait pas une marche vers la mort en direction de la frontière avec le Golan occupé. Au 63ème anniversaire de la Nakba, des réfugiés palestiniens convergèrent par centaines, sans armes, pour traverser la frontière. Dans la fusillade qui suivit inévitablement, quatre Palestiniens perdirent la vie, tout cela pour un événement médiatique qui, en fin de compte, ne fit que renforcer l’image d’un régime qui s’écroulait. Plus récemment, le régime tenta (et échoua largement) de recruter des Palestiniens comme shabbiha (miliciens en civil rétribués par l’Etat) à Homs et Damas pour supprimer et intimider des Syriens et des compagnons palestiniens.

La Palestine et les Palestiniens pendant la révolution

Culturellement, la révolution syrienne a déjà gagné. La vitalité des nouvelles caricatures de presse, des slogans et des satires nés durant la révolution montrent que l’esprit est déjà libéré de l’imitation monolithique des discours dans la ligne officielle du parti. Un des traits principaux de la production culturelle émergeant des villes, cités et villages syriens assiégés, c’est qu’elle s’inspire de la longue histoire de la résistance culturelle palestinienne. Pendant le siège de Baba Amr, des slogans comme “Baqoon ma baqiya al-za’tar wal zaitoun” (nous resterons en place, avec le thym et les olives) ou “Haser Hisarak” (assiégez votre assiégeant) ont fait partie des messages du Conseil Révolutionnaire de la ville de Homs relayés par Skype. Les pages Facebook d’artistes graphiques syriens en Syrie et au-dehors ont commencé à présenter des oeuvres d’art avec des poèmes de résistance populaire de Mahmoud Darwish, sur fonds de photographies telles que la tour de l’horloge de Homs, devenue un symbole fameux de la révolution. D’autres oeuvres incluaient des caricatures modifiées de Naji Al-Ali (/spip.php?article6997&var_reche...), satires du régime Baas. L’une des nombreuses ironies de cette révolution est que le régime Baas a finalement réussi à faire entrer les souffrances des Palestiniens dans les foyers syriens ; mais cette fois de façon plus intime et effective qu’un journal télévisé officiel.

Sur le terrain, des milliers de Palestiniens aux compétences variées se soulevèrent collectivement et individuellement contre le régime aux côtés de leurs frères syriens. Selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’homme, 150 Palestiniens ont été tués ces 17 derniers mois de révolution ; selon [le site] Zaman Al-Wasl ce chiffre s’élève à 300.

La discussion sur la participation palestinienne à la révolution doit prendre en compte leurs conditions de vie.

Historiquement deux facteurs ont empêché de rendre compte honnêtement des conditions des Palestiniens en Syrie : le Liban et Al-Yarmouk. Le médiocre traitement bien connu que le Liban inflige à sa population palestinienne peut faire paraître luxueux un bidonville équipé d’eau courante et d’égouts en état de fonctionnement. Aussi est-il trompeur de prendre les conditions de vie des Palestiniens au Liban comme étalon pour d’autres communautés de réfugiés palestiniens (ou autres).
A l’autre extrémité, la vitalité et l’esprit d’initiative de Al-Yarmouk est l’exception à la règle de la présence palestinienne en Syrie. Les rues étroites mais relativement prospères de Al-Yarmouk camouflent ses nombreux titres : camp, quartier et banlieue. Ils masquent aussi ses sections plus pauvres et les identités variables de ses habitants. Quelque 150.000 Palestiniens vivent à Al-Yarmouk mais ils ne constituent que moins de la moitié voire un quart de ses habitants. Le reste est un collage de Syriens venus d’autres parties de la Syrie ou de Damas et qui y ont trouvé un logement au prix abordable ou des opportunités de travail. Sa relative proximité et sa position dans les transports urbains ont facilité un caractère dynamique et en perpétuel changement. Après 2003 les anciens réfugiés ont reçu les Irakiens fraîchement arrivés avant qu’ils ne se dispersent dans des logements moins chers loin de Al-Yarmouk. Le camp a réussi à demeurer un hâvre sûr pour le plus récent arrivage de réfugiés, venus des quartiers adjacents d’At-Tadamon et Al-Hajar Al-Aswad. Il a été de plus en plus poussé à une militarisation, principalement mais pas seulement, à cause d’Ahmed Jibril, le dirigeant basé à Damas du Front Populaire de Libération-Commandement Général (PFLP-GC) et de Tareq Al-Khadra, chef d’état-major de l’armée de libération palestinienne basée en Syrie. Une vingtaine de ses résidents ont été tués dans des tirs de mortier en août 2012. La composition très mélangée d’Al-Yarmouk a empêché tout parti ou groupe politique de revendiquer l’adhésion du camp. Sa taille et son importance politique ne feront que croître les prochains jours.

Près de la moitié de la population palestinienne en Syrie se concentre dans des camps très densément peuplés d’environ un-demi kilomètre carré. La plupart de ces camps sont isolés (Al-Nairab est à 15 minutes de route d’Alep-Ville) et dans certains cas ils sont même clôturés (les murs de l’Université al-Baath et ses dortoirs prennent en sandwich le camp Al-’Adin [ou camp de Homs]). Cela fait des Palestiniens des cibles faciles pour la gigantesque puissance de feu de l’armée syrienne au moindre signe de sympathie pour la révolution, comme l’a montré le sort récent du camp de réfugiés de Deraa. Dès les premiers jours de la révolution, des Palestiniens se sont fait tuer en tentant de passer de la nourriture et des fournitures médicales aux Syriens assiégés dans Deraa même. Ce soutien résolu à la révolution a valu au camp de Deraa la colère de l’armée syriene. Le camp continue d’être la cible d’incursions militaires répétées (juin-août 2012), ses habitants sont détenus, torturés et sommairement exécutés ; ce qu’il reste est toujours avec la révolution.

Quand l’armée syrienne a lancé une campagne acharnée contre le quartier de Baba Amr à Homs, en février 2012, le camp voisin d’Al-’Adin a abrité des centaines de ses résidents terrifiés et appauvris courant pour sauver leur peau.

L’hôpital "Bissan" du camp, le seul hôpital chirurgical en ville, a traité les blessés de Baba Amr. Ses médecins et infirmières ont risqué leur vie pour sauver les fuyards de Baba Amr et de plus loin. Plus tard les Services de Sécurité ont remis au shabih résidant palestinien une liste de plus de 100 Palestiniens avec des accusations allant de « port d’armes » à « soins aux blessés ». Le camp étroit semi-emmuré continue d’être suspendu au coin d’une ville déchirée, sans savoir si ses murs vont survivre ou s’écrouler.

La boussole perd le nord sur la route de Damas

La révolution syrienne est un de sujets les plus diviseurs auxquels les Palestiniens font face depuis la signature des Accords d’Oslo. Une partie du problème est l’idée que le crédit d’un passé révolutionnaire (réel ou perçu/militant ou rhétorique) peut conférer une légitimité à des actes qui sans lui sont indéfendables. En outre, un étrange mélange de médias d’Etat syriens, de sectarisme mutant et d’intérêts internationaux ont convergé pour rendre confuse une lutte pour la liberté qui sans cela est juste. La Syrie représentait un ennemi non conventionnel et inopportun. D’une part, des Palestiniens basés à Damas avaient essuyé la poussière de leurs vieilles boussoles révolutionnaires et déclaré que la Palestine est le pôle. Tout qui pointe vers elle est ami ; ses ennemis doivent donc être les ennemis des Palestiniens. D’autre part, pour les politiciens de Ramallah, la Syrie a offert une occasion rare et gratuite d’emmagasiner des points révolutionnaires sans devoir essuyer la poussière de leurs fusils révolutionnaires. Les positions de chacun se basent sur des intérêts politiques clairs, immédiats et opportunistes.

Les pièges de certains intellectuels palestiniens hors de Syrie et le plus souvent à l’intérieur des frontières (intellectuelles et physiques) de l’Empire ont été de loin plus sérieux, même si marginaux quant à leur impact. Pour ces intellectuels, l’anti-impérialisme peut aisément gommer des « anti-... » plus importants et plus basiques. Quand ils considèrent que le combat pour la dignité et la liberté en Syrie a moins de valeur que la lutte contre l’impérialisme, il font l’impasse sur plus de 60 années de l’histoire si complexe de la Syrie après son indépendance. Ils critiquent les aspects universalisants des universités américaines et européennes, mais finissent par universaliser leur opposant numéro 1 (l’Empire) comme étant celui de chacun. Tant que les révolutionnaires syriens n’en font pas autant, leur conscience est dans l’erreur, leur combat futile et leur sang versé, sans valeur.

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Préparation du repas au camp de Cyber City (cindydarylbyler.wordpress.com)

Les promesses de la tempête

Déjà les Palestiniens de Syrie sont à nouveau réfugiés en Jordanie et au Liban. Leurs documents de voyage syriens à l’étranger ont autant de valeur que la Livre syrienne ... à l’étranger. C’est juste qu’ils ne peuvent être échangés contre des papiers locaux. Ils s’étonnent déjà que contrairement à ce qui se passe en général, l’antériorité de leur condition de réfugié provoque plus de malheurs et de mauvais traitements que de respect et de compréhension. Ils se demandent pourquoi leurs compagnons réfugiés syriens pouvaient, au début du moins, jouir de la liberté de mouvement en Jordanie tandis qu’eux étaient incarcérés dans un camp d’internement contre-utopique baptisé Cyber City (**). Ils se demandent déjà : « Les nouveaux Syriens se rappelleront-­ils comment on se sent quand on est un réfugié ? »

Alors que l’Etat syrien implose et que le régime se mue en une super-milice (voir le récent rapport de l’International Crisis Group), ce qui attend les Palestiniens aujourd’hui est aussi glauque que le sort de la Syrie elle-même. Jusqu’à présent ils ont réussi à défier la marée montante de classification sectaire et à se tenir à la limite possible de la révolution. Finalement, ils ne seront plus capables de maintenir une position de « neutralité positive » et la neutralité devra devenir bruyamment positive. Restera-t-elle positive ou va-t-elle se syrianiser, se sectariser ou s’armer ? Dans une large mesure, la réponse dépend du succès de la révolution à renverser une milice qui a sa propre force aérienne. Et en cas de succès, combien de ses idéaux proclamés survivront-ils aux accords conclus tout au long de cette route qui mène au palais du Mont Qassyoum ?

Notes :

(*) Son nom est devenu une épithète désignant les Afro-Américains accusés de s’être vendus aux Blancs.

(**) Le nom « Cyber City » fait référence à un vaste complexe entouré de murs dans lequel opèrent des entreprises dans le secteur des nouvelles technologies, près de la ville de Ramtha. http://www.hrw.org/fr/news/2012/07/...

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Ahmad Diab

* Ahmad Diab est un écrivain et boursier Fulbright, actuellement doctorant du troisième cycle à l’Université de New York. Il s’intéresse à l’intersection entre littérature, cinéma et structures de pouvoir.

5 septembre 2012 - Al-Shabaka - Vous pouvez consulter cet article à :
http://al-shabaka.org/palestinians-...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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