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Plan de paix arabe : inititiative contre principe

jeudi 5 avril 2007 - 22h:31

Azmi Bishara - Al-Ahram Weekly

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D’après les ministres américain et israélien des affaires étrangères, l’initiative de paix arabe représente une position arabe non contraignante pour laquelle les Arabes méritent une petite tape dans le dos et un gentil coup de coude pour qu’ils la modifient. Le fait même que cette initiative suscite un tel encouragement l’empêche de mériter son nom.

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26 février 2007 - rencontre entre Mahmoud Abbas et Sheikh Hazza’ Bin Zayed Al-Nuhayyan des Emirats Arabes Unis - Photo : Ma’anImages

De toute évidence, la ministre israélienne des affaires étrangères refuse de croire que l’histoire a commencé avant les élections qui l’ont amenée au pouvoir il y a quatre ans. Après que la politique étrangère de l’école néoconservatrice eut échoué si misérablement dans le monde arabe et après que la feuille de route se fut égarée si profondément dans les méandres de l’oubli qu’il en a fallut une autre pour l’en sortir, la ministre israélienne et son homologue américaine doivent se raccrocher à quelque chose. Mais du fait de leur nouvelle flexibilité, tout ce qu’elles voient est une « position » arabe, qui plus est, impraticable.

Peut-être fallait-il annoncer une nouvelle initiative arabe lors de l’entrée en fonction de ces deux administrations. Elles auraient pu alors parler d’initiative. Mieux encore, peut-être les Arabes devraient-ils produire une nouvelle proposition tous les trois ou quatre ans, en modifiant les points forts de leur initiative de paix précédente de manière à rassurer chaque nouveau débarquement d’envoyés américains. A ce compte-là, dans vingt ans environ, après que quatre ou cinq gouvernements israéliens et américains auront pris et quitté le pouvoir, les Arabes approuveront l’annexion d’une grande partie de la Rive Occidentale occupée et ils seront reconnaissants de ce qu’Israël se soit borné à leur demander de reconnaître simplement, non seulement Israël, mais aussi l’Article 7a de sa loi constitutionnelle organique par lequel il se décrit comme un Etat juif et démocratique. Tout est possible du moment qu’Israël trouve des Arabes qui prétendent qu’ « il vaut mieux accepter ce qui nous est offert maintenant, que d’être forcés à accepter quelque chose de pire plus tard ».

Voilà le sort d’une initiative de paix qui part d’une dynamique de faiblesse. Sans une victoire qui rende les principes d’une initiative de paix plus irréfutables ou qui accroisse la capacité de ses auteurs à modifier l’équilibre des forces en leur faveur, l’initiative n’est rien de plus qu’une proposition, appelant de nouvelles modifications. C’est pourquoi, l’auteur d’une initiative est soit une partie neutre qui souhaite servir d’intermédiaire entre des parties antagonistes qui ne peuvent pas trouver de terrain d’entente tout seuls, soit une partie victorieuse qui cherche à traduire une victoire militaire en victoire politique, ou encore une partie autrement plus puissante qui a le pouvoir d’imposer l’initiative. Une initiative qui est présentée comme une hypothèse, ne peut être considérée que comme une forme de repli et elle a toutes les chances d’aiguiser l’appétit de l’adversaire pour de nouvelles concessions. La vraie vie n’est pas faite de jeux de simulation se déroulant dans des centres d’études stratégiques qui vivent des dialogues arabo-israéliens.

A cette dernière catégorie d’initiatives appartient celle qui vise à apaiser l’adversaire et à gagner les faveurs de ses alliés. C’est à elle que ressortit l’initiative arabe ; ceux qui conseillent ce type d’initiative sont les « amis » arabes et leurs conseillers sionistes américains et israéliens de gauche. D’après eux, Israël n’a rien contre une solution juste. La crainte d’Israël est simplement que les Arabes s’emploient à le détruire et à rejeter les Israéliens à la mer. Ce n’est pas que les Israéliens soient racistes, ils sont simplement nerveux. Par conséquent, ce que les Arabes doivent faire, c’est tranquilliser les Israéliens.

Où les Arabes ont-ils connu cette peur auparavant ? Ah oui. C’est la peur qui a poussé les Palestiniens dans le désert et qui a amené les bombes à fragmentation à tomber sur les villages du Liban-Sud, dans la vallée de la Bekaa et à Djabal Amel. Voila une peur bien effrayante.

Maintenant, les Arabes sont censés compatir avec cette crainte très compréhensible du droit au retour des Palestiniens, avec la crainte de rendre Jérusalem aux Arabes, et la crainte de revenir aux frontières d’avant juin 1967. Et peu après, il y aura la crainte d’une rupture de l’unité nationale israélienne.

Certains Arabes se sont déjà empressés de calmer ces appréhensions. Ils voulaient probablement satisfaire les exigences formulées par la ministre israélienne des affaires étrangères durant la récente conférence du Comité des affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC). Même Benyamin Netanyahu aurait été gêné de dire aux Arabes ce que cette ministre des affaires étrangères douce et modérée a dit dans son discours devant le puissant groupe de pression pro-israélien. Ce que les gouvernements arabes doivent faire, a-t-elle dit, est de normaliser leurs relations avec Israël pour calmer les craintes israéliennes, après quoi, ils devraient attendre qu’Israël change progressivement. Israël finirait peut-être par reconnaître le gouvernement palestinien d’unité nationale et peut-être par reconnaître même les Arabes.

Le résultat de tous ces efforts arabes est que la situation est devenue de plus en plus pourrie puisque la feuille de route a rapidement mis l’initiative arabe au rencart. Brusquement, Sharon a été salué comme un homme de paix malgré lui et a été forcé d’écouter avec le sourire, à Sharm El-Sheikh, les Arabes lui décrire son plan de retrait unilatéral de Gaza comme une étape de la mise en ?uvre de la feuille de route. Mus par un esprit d’initiative encore plus grand, il s’en trouva certains pour aller plus loin que la proposition arabe. Normalement, bien sûr, cette qualité très positive est hautement appréciée dans les sociétés capitalistes puisqu’elle est aux antipodes de la paresse, de l’indifférence et du manque d’initiative que l’on attribue si souvent aux Orientaux. Mais dans ce cas, au moins, l’esprit d’initiative ne manqua pas, surtout quand il fallu plaire aux Américains en acceptant par exemple d’abaisser le seuil de la proposition arabe au niveau de celui de la feuille de route.

En théorie du moins, la position des pays arabes - contrairement à celle des pays qui ont signé des accords de paix avec Israël - est la suivante. Ils ne reconnaissent pas encore Israël ; la cause palestinienne tourne autour des réfugiés et la totalité de la Palestine depuis la partition de 1948. En outre, les résolutions pertinentes des Nations unies que les Arabes ont approuvées sont la base de toute solution juste ; selon ces résolutions, Israël devrait se retirer inconditionnellement jusqu’aux frontières d’avant 1967. L’initiative de paix arabe a été sans doute conçue pour jeter un pont entre la position arabe et celle d’Israël. Si Israël rejette cette initiative, il semblerait logique que les Arabes reviennent à leur position initiale au lieu de faire de leur initiative un nouveau point de départ à partir duquel on comblerait l’écart entre la nouvelle position arabe et l’ancienne position israélienne. Autrement dit, aussi longtemps qu’Israël continue à repousser l’initiative de paix arabe ou à la traiter comme un menu dans lequel il peut choisir ce qui lui plaît et renvoyer ensuite sa commande à la cuisine en demandant qu’on lui propose un nouveau plat, les responsables arabes devraient simplement reprendre leur position initiale comme la seule alternative et souligner que si Israël n’aime pas ce qu’il y a au menu, il est peut-être temps qu’il présente sa propre initiative de paix.

Les Arabes ont eu tort de produire cette initiative dans le climat entourant le 11 septembre. Ils ne pouvaient pas choisir de pire moment. Toutefois, maintenant qu’elle a été approuvée à l’unanimité et signée, ils devraient attendre qu’Israël l’accepte plutôt que de se précipiter dans de nouvelles délibérations au premier signe de désapprobation de sa part. Mieux encore, pourquoi ne pas renverser quelque peu les rôles ? Si Israël a vraiment peur, il doit se rendre compte que sa meilleure garantie de tranquillité et de sécurité réside dans sa reconnaissance et la paix que lui offrent les Arabes. Donc, laissons Israël présenter une initiative de paix sur laquelle Arabes pourront jeter un regard et dire « très bien, mais il faudra un petit ajustement ici et là et quelques mesures concrètes pour calmer nos inquiétudes ».

Il est certain qu’Israël pourrait faire beaucoup pour prouver ses bonnes intentions. Il pourrait, par exemple, arrêter la construction des colonies et démanteler celles qu’il avait promis d’enlever. Il pourrait cesser sa politique d’assassinats « ciblés ». Il pourrait se conformer à la décision du tribunal de La Haye concernant le mur de séparation, il pourrait déclarer qu’il compte se retirer jusqu’à la frontière d’avant 1967 et abroger les lois relatives à l’annexion de Jérusalem et des hauteurs du Golan. Telles sont les mesures qu’Israël devrait prendre pour convaincre les Arabes de sa volonté de paix.

C’est ainsi que les pays - je veux dire des pays pleinement souverains - gèrent leurs affaires étrangères, indépendamment de leurs divisions internes entre « modérés » et « extrémistes ». Quand ils négocient, ils le font comme des parties aux négociations, tirant parti de leurs points forts respectifs pour s’en tenir autant que possible à leurs positions initiales. La même logique vaut pour les négociations entre une puissance occupante et un peuple sous occupation. A moins que la puissance occupante ne reconnaisses le droit du peuple occupé à l’autodétermination et ne déclare son intention de se retirer, ce ne sont pas des négociations que vous avez, mais une autre forme d’intimidation ; le fait d’appeler ceux qui se trouvent autour de la table de négociation « les deux côtés » ne change rien à l’affaire. C’est pour cette raison que les mouvements de libération décident de poursuivre la résistance, de ne pas négocier avec la puissance occupante et d’une façon ou d’une autre, de concilier la nécessité de résister avec les besoins de la vie quotidienne jusqu’à ce que la puissance occupante se déclare prête à lever l’occupation. Alors seulement, il y aura-t-il vraiment quelque chose à négocier.

En Palestine, le mouvement de libération a changé de voie et a commencé à rêver d’être reconnu par la puissance occupante. Une fois ce rêve réalisé, l’Organisation de libération de la Palestine est devenue l’un des « deux côtés » pour être ensuite fragmentée et réduite à une hypothétique entité politique, constituée des restes du mouvement de libération dont il n’avait aucune des prérogatives de souveraineté. Toutefois, on a finalement donné au peuple sous occupation l’occasion de tenir des élections législatives ; il a élu un parlement dont est issu un gouvernement qui a rejeté le jeu postérieur à Oslo. Ce gouvernement était prêt à gouverner pour la seule raison qu’il avait été élu : il représentait un mouvement de libération résolu à combattre l’occupation.

Néanmoins, ce gouvernement s’opposait en même temps aux négociations avec Israël ; toutefois, pour rester au pouvoir, il délégua des membres de son opposition politique - ceux-là mêmes qui avaient désintégré le mouvement de libération et avaient dirigé l’hypothétique entité politique - pour entreprendre des négociations, sans toutefois concevoir de mécanisme garantissant la discipline des négociateurs. En d’autres termes, le gouvernement peut ne pas avoir négocié, mais il n’a pas fait du rejet des négociations une position absolue et il n’avait pas le moyen de s’assurer que les négociations ne compromettraient pas les priorités arrêtées du mouvement national.

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Azmi Bishara

Peut-être, un jour se rendra-t-il compte qu’aux yeux d’Israël et des USA, un gouvernement palestinien se limite à un président de l’Autorité palestinienne et à ses conseillers, lesquels acceptent de négocier aux conditions d’Israël. Mais c’est là un sujet dont je préfère traiter un autre jour.

23 mars 2007 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/838...
Traduction : AMG

Du même auteur :
- Olmert et l’initiative arabe de paix au Proche-Orient
- Plutôt que l’apaisement
- De la cause palestinienne à la cause arabe


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