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A défaut des enfants, sauvez au moins les poulets de Palestine

jeudi 5 avril 2007 - 07h:50

Samah Jabr

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Alors que je faisais ma spécialité en psychiatrie à Paris, j’ai entendu parler de l’activité de l’ancienne actrice française Brigitte Bardot et de sa fondation qui militent pour les droits des animaux dans le monde.

Bardot est particulièrement célèbre, ou tristement célèbre, pour sa dénonciation chaque année du rituel islamique de l’abattage du mouton pendant la fête musulmane d’Eid Al-Adha.
Mais mon récit ne touche ni à Bardot ni aux droits de ses animaux ni à la grippe aviaire. Il touche là où est mon c ?ur : au bien-être des enfants et spécialement en Palestine.

L’autre jour, un homme jeune vient à ma clinique, les sourcils froncés : « Docteur, il l’a encore fait ; il a tué encore un poulet de la même façon cruelle. Faites quelque chose pour lui, s’il vous plaît docteur, nous voulons qu’il retrouve son état normal » dit l’homme en montrant un garçon qui, je l’ai compris plus tard, était son neveu.

L’oncle raconte que c’est peut-être la sixième fois qu’ils trouvent un poulet étranglé et mutilé dans leur arrière-cour en trois ans. Alors qu’au début, ils se demandaient qui pouvait tuer des poulets de cette façon extrêmement cruelle, ils ont vu Khaled, loin de tout regard, avec un poulet dans les mains. Les deux, poulet et Khaled, étaient en train de pleurer bruyamment ; mais Khaled pleurait toujours plus fort pendant qu’il tenait la tête du poulet et la tournait rapidement en un mouvement circulaire comme s’il essayait de la séparer du corps, et les pleurs du poulet se sont apaisés progressivement. Alors, Khaled a pris le poulet devenu silencieux par le cou et il s’est mis à frapper sur les arbres, les rochers et le sol avec le corps. Quand il a cessé à la fin, les plumes, le sang et l’animal mutilé sont restés là, sur la plantation.

Khaled est aujourd’hui un garçon de 12 ans. En mai 2003, il habitait Hébron, à la limite de la colonie de Kiryat-Arbaa, c’est là qu’il a vécu un drame affreux qui va affecter sa vie, un moment qui a transformé cet enfant qui grandissait normalement, espiègle et amical en un enfant renfermé, rigide, inflexible, impatient, à charge, impulsif et agressif.

D’après son oncle, Khaled était en train de jouer avec trois de ses copains quand un véhicule militaire transportant une énorme quantité de fil de fer barbelé passe devant eux. Les barbelés se balançaient de gauche à droite avec le mouvement du véhicule et, par hasard, ils accrochent les quatre enfants. Le véhicule continue sa route jusqu’à ce que le barbelé tombe accidentellement du véhicule ; les enfants ont été traînés sur environ 500 mètres depuis l’endroit où ils jouaient. L’oncle montre des photos, des rapports médicaux et des articles qui relatent l’histoire.

Tous les enfants ont été blessés grièvement et hospitalisés à l’hôpital du gouvernorat d’Hébron. Khaled a un traumatisme grave à la tête et de multiples coupures et écorchures dans le dos, sur les bras et les jambes. Selon la famille, durant cette période personne n’a parlé à Khaled de ce qui lui était arrivé car tous étaient inquiets pour sa santé physique et accablés par l’incident.

Quand Khaled est finalement sorti de l’hôpital et rentré chez lui, il est évident qu’il n’est pas remis de ses souffrances. Le garçon s’isole socialement de sa famille et de ses amis ; il commence à mouiller son lit chaque nuit et souffre de troubles du sommeil. Il a des cauchemars et se réveille agité, pleurant et se griffant méchamment le visage avec les ongles. Il pousse des cris incompréhensibles ; il bafouille ses mots, d’après sa famille « en dehors de cela, le garçon ne parle presque pas, et s’il parle, c’est pour se plaindre de maux de tête » ajoute son oncle.

A la maison, Khaled est destructif. Il casse tous ses jouets, il est souvent agressif avec ses jeunes frères et s ?urs. Il est particulièrement hostile quand on l’interroge ou si on lui parle de l’incident bien qu’il date de plusieurs années.

A l’école, ils se plaignent de son manque de discipline et de concentration sur ses devoirs. Il est très lent et ses résultats scolaires sont très bas. La famille indique aussi une baisse au niveau de la propreté corporelle de l’enfant.

Selon la famille, il y a eu plusieurs périodes avec une légère amélioration dans le fonctionnement général de Khaled, mais, à chaque fois, ce mieux est retombé à cause de nouveaux incidents impliquant la violence des soldat, à un point que les symptômes se sont manifestés plus intensément qu’auparavant. En juillet 2004, les soldats ont tiré sur l’un des camarades de classe de Khaled et l’ont tué. En février 2005, la maison familiale de Muhammad a été envahie par les soldats pour les motifs habituels de recherches, et il y a plusieurs mois, il s’est trouvé au milieu d’un affrontement entre les colons et les soldats d’un côté, et les citoyens de la vieille ville d’Hébron de l’autre.

Khaled vit dans une modeste maison avec sa famille. Il est le troisième enfant avec 8 frères et s ?urs. Son père est un instituteur de 44 ans ; sa mère, femme au foyer, a 34 ans. Comme de nombreux enfants palestiniens, il est entouré par une grande famille : grands-parents, oncles et tantes, en plus de ses parents. L’oncle raconte que depuis l’incident, la mère est devenue très protectrice et en même temps, très permissive. La relation de l’enfant avec son père s’est aussi modifiée. Le père était sévère dans le passé, maintenant il est contradictoire ; il hésite entre s’ingérer et ignorer complètement Khaled.

Pendant que je parle avec son oncle, le garçon se cramponne à lui, refusant de parler ou d’aller jouer. Il ne veut pas rester seul avec moi. J’explique pourquoi je suis là. Il ne parle presque pas pendant l’entretien sauf que de temps en temps il hoche la tête pour approuver quelque chose que je lui ai dit ; il n’a un contact spontané du regard avec moi. Il se cache la figure avec les mains, surtout quand son oncle parle de l’énurésie. Je lui demande de faire un dessin. Il commence à faire des traits sur le papier puis il le déchire. On dirait qu’il est triste et fatigué. Je lui dis qu’il semble y avoir un problème mais que je ne peux l’aider s’il ne le veut pas. Il incline la tête en signe d’acquiescement quand je l’invite à revenir, et il me presse la main en réaction à ma proposition pour me serrer la main.

Un examen physique de l’enfant me permet de voir les cicatrices importantes sur son corps comme ses éraflures sur le visage par automutilation mais pas de mesurer les cicatrices qui se cachent en dessous, à l’intérieur. L’oncle me dit que Khaled est retors, qu’il n’a pas la moindre empathie. Je ne suis pas d’accord, je ne sais pas ce qui se passe dans l’esprit de ce jeune garçon.

Traiter la cause de l’origine de la pathologie de Khaled et d’autres comme lui n’est pas de mon ressort. Mais j’espère pouvoir lui donner quelque soutien et traitement pour réduire ses symptômes et l’amener à parler, dessiner et à s’exprimer afin de communiquer ce qu’il ressent au fond de lui d’une façon plus saine qu’en mutilant des poulets.

Jusqu’à ce que ceux qui sont responsables de la guerre contre notre peuple arrêtent leurs engins militaires, je ne pourrais m’empêcher de penser à Khaled et aux autres enfants comme lui, en Irak, au Liban, etc., où qu’ils soient, en Palestine ou en dehors de la Palestine. En attendant, je vous demande à vous, qui avez dans les rayons de vos supermarchés plus de nourriture pour animaux que pour bébés, accordez-nous un peu de votre attention, sinon pour les enfants, au moins pour les poulets de Palestine.



Samar Jabr est psychiatre vivant et exerçant en Palestine occupée.

avril 2007 The Palestine Times - Trad. : JPP

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