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Les illusions de la diplomatie US au Moyen-Orient

jeudi 5 avril 2007 - 07h:13

Tony Karon - TomDispatch.com

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Le regain d’activité diplomatique au Moyen-Orient est-il la preuve d’un nouvel engagement de la Maison Blanche en faveur de la paix, ou manifeste-t-il au contraire la faiblesse de la position US dans la région ? Tony Karon, spécialiste du Moyen Orient au Time, décrypte les stratégies en présence.

"Nous publions ci-dessous de larges extraits de l’analyse du tournant diplomatique au Moyen-Orient publiée sur TomDispatch par Tony Karon, journaliste au Time."

Tony Karon

Les allées et venues de la Secrétaire d’Etat Rice sont depuis longtemps accueillies avec un dédain assez las par les médias arabes et israéliens. A titre d’exemple, voici ce qu’écrivait, en le déplorant, Gideon Lévy dans Ha’aretz en août dernier :

« En l’espace d’un an et demi Rice est venue ici six fois, et pour quel résultat ? Est-ce que quelqu’un l’a interrogé à ce propos ? Se pose-t-elle la question ? Il est difficile de comprendre comment la secrétaire d’état accepte d’être ainsi humiliée. Il est encore plus difficile de comprendre comment la superpuissance qu’elle représente se permet d’agir d’une manière si vaine et inutile. Le « mystère américain » demeure non résolu : Comment se fait- il que les Etats-Unis ne font rien pour chercher une solution au conflit le plus dangereux et le plus durable de notre monde ? »

(...)

En réalité, si des manoeuvres diplomatiques importantes sont actuellement en cours au Moyen-Orient, elles sont le fait des Saoudiens. Les membres de la monarchie saoudienne se sont tellement alarmés de la passivité et de l’incompétence de l’administration Bush - de l’influence croissante de l’Iran et des mouvements islamistes du monde arabe (dont la popularité et la crédibilité sont amplifiées par leur volonté de faire face à Israël et aux États-Unis) - qu’ils ont lancé une campagne diplomatique inhabituellement vigoureuse sur un certain nombre de fronts. Les médias dévoués à Condi dépeignent ceci comme le résultat des efforts de l’administration Bush pour entraîner la monarchie de Riyad sur la scène diplomatique. Les efforts saoudiens sont, cependant, si clairement en désaccord avec les politiques et les désirs de l’administration sur les principales questions que cette présentation des évènements est indéfendable. Pendant que Washington encourageait l’isolement de l’Iran, Riyad - censément à la tête d’un nouvel « Axe des Modérés » construit par Washington - a passé l’hiver à négocier résolument avec Téhéran au plus haut niveau. L’objectif était de commencer par calmer les tensions entre chiites et sunnites à travers la région, aggravées par la situation catastrophique en Irak, et à empêcher la confrontation entre factions opposées au Liban. Tandis que la presse américaine considérait généralement que les Saoudiens entraient dans une période de confrontation musclée avec l’Iran, ce pays était à la recherche de solutions pour gérer ses différents avec les Iraniens, basées sur une reconnaissance mutuelle des rôles régionaux de chacun. Cela ne correspondait pas exactement à ce que George W. Bush, Dick Cheney, ou Condoleezza Rice semblaient avoir à en tête.

Survint alors la tentative saoudienne de réunir les factions palestiniennes rivales par l’accord de la Mecque. La, les Saoudiens ont sponsorisé des négociations pour amener le parti Fatah de Mahmoud Abbas à entrer dans un gouvernement d’unité nationale avec le Hamas - même si Washington continuait à avertir Abbas contre cette option. Abbas, président de l’Autorité nationale palestinienne, a rarement montré la moindre indépendance vis-à-vis de Washington. Sa volonté de participation était un signal clair indiquant que les Saoudiens orchestraient les choses sur la scène israélo-palestinienne en ne montrant que peu de patience pour les fantaisies de l’administration Bush. Les États-Unis avaient naturellement cherché à renverser le Hamas depuis qu’il avait emporté les élections législatives en 2006 - chose que les Saoudiens considéraient comme irréalisable, étant donné que le Hamas est en ce moment bien plus représentatif du sentiment populaire palestinien que le Fatah. Les chefs saoudiens se rendaient également compte que la campagne de Washington pour isoler le Hamas dans le monde arabe lui laissait peu d’options en dehors de la recherche du patronage iranien.

En réalité, l’administration Bush semble de plus en plus en désaccord avec le consensus qui règne au sein des arabes modérés qu’elle prétend mener. Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite, en particulier, semble avoir envoyé un signal de cet état de fait en annulant - avec peu d’explication - d’un dîner d’état spécial auqueil il devait être accueilli par le Président Bush le 17 avril. Puis, au sommet de la ligue arabe de mercredi à Riyad, le roi a poursuivi en exigeant la fin du blocus financier asphyxiant contre l’Autorité palestinienne, imposé par les États-Unis, et en dénonçant la présence militaire américaine en Irak comme une « occupation étrangère illégitime. » C’est une attitude forte de la part des Saoudiens.

Plutôt que le résultat d’un plan minutieux concocté par la Secrétaire d’Etat des États-Unis comme une sorte d’alchimie miraculeuse de haute stratégie, la dernière effervescence d’activité reflète la maturation d’une série de crises au Moyen-Orient qui se sont agravées dangereusement, pendant que Condi amusait la galerie. Parmi celles-ci :

- le fait que l’administration Bush ne s’est engagée - et encore, symboliquement - sur la scène israélo-palestinienne que lorsqu’elle recherchait désespérément des faveurs des régimes arabes alliés concernant d’autres fronts, notamment les crises en Irak et en Iran. Avec les États-Unis luttant sans succès sur deux fronts, sa capacité tant vantée d’influencer les événements dans la région connaît un déclin précipité.

- le fait que les régimes arabes les plus étroitement alliés aux Etats-Unis font face à des crises croissantes de légitimité chez eux, et sont menacés non seulement par leur autoritarisme, mais également par leur paralysie face aux violences américaines et israéliennes contre les populations arabes. Assurer aux Palestiniens une patrie est maintenant vu par ces régimes comme essentiel à leur propre survie politique interne.

- le fait qu’un gouvernement israélien, qui est arrivé au pouvoir en promettant une paix par le « désengagement » unilatéral de Gaza et de certaines régions de la Cisjordanie, ayant mené une guerre désastreuse au Liban et faisant face à une lutte interminable à Gaza, est apparemment lui-même déconfit, et que ses projets politiques soient réduits en lambeaux. Le premier ministre Ehoud Olmert se noie dans les flots de la corruption, des scandales, et de récriminations sur l’incompétence stratégique et tactique qu’il a démontrée dans la guerre du Liban de l’été passé. Avec une cote de popularité à un surprenant 3%, il a désespérément besoin d’une nouvelle idée pour persuader les électeurs israéliens qu’il existe n’importe quelle raison de le maintenir au pouvoir.

- le fait que les Palestiniens vivent une épreuve humanitaire et politique sans précédent. Toutes les factions du gouvernement palestinien sont d’accord pour que le blocus financier soit levé autour d’un Gaza exsangue et déchiré par les guerres fratricides. Le futur politique et le legs du Président Abbas ne reposent que sur sa capacité à parachever le processus de paix d’Oslo ; tandis que pour le Hamas - au moins pour sa direction politique la plus pragmatique - permettre au Président Abbas de suivre ce cours (en particulier il a la bénédiction du monde arabe) semble une option raisonnable. Les choix politiques du Hamas ont toujours reflété un sens aigu du sentiment populaire palestinien. En maintenant une position distante et ambiguë envers les efforts diplomatiques d’Abbas, il peut de façon plausible nier toute complicité si les résultats se révèlent impopulaires au sein de la rue palestinienne.

L’impossibilité « d’y arriver »

C’est cette faiblesse politique multifactorielle et la perte de la capacité d’influence des principaux acteurs, qui rend une nouvelle initiative en faveur de la paix soudainement si attrayante - et si douteuse. Durant ces dernières semaines, Rice et Olmert ont exprimé un enthousiasme réservé pour les propositions saoudiennes de paix, comme si elles offraient un remarquable ensemble suggestions nouvelles. Le plan, qui offre la reconnaissance d’Israël contre son retrait total aux frontières de 1967, un état palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, et une solution à la question des réfugiés palestiniens reposant sur le « droit au retour, » a en fait été adoptée par la ligue arabe il y a cinq ans. Il a simplement été ignoré par les administrations israéliennes et américaines qui se sont alors senties trop puissantes pour les prendre en considération. Leur volonté soudaine de les prendre en compte, même si c’est selon leurs propres conditions, souligne l’échec des stratégies politiques qui les ont guidés jusqu’alors.

La secrétaire d’état Rice traite maintenant les discussions sur la formation d’un état palestinien comme si tout le monde commençait à zéro. C’est simplement un échappatoire opportuniste - Israéliens et Palestiniens sont tout à fait au courant des paramètres d’un accord de statut final, parce qu’ils en ont déjà longuement débattu à camp David et plus tard à Taba en 2001, où ils étaient assez près de signer un accord de statut final. Même la « feuille de route » adoptée par l’administration Bush en 2003 (en partie comme récompense pour le soutien Arabe et Anglais de l’invasion de l’Irak) réclame un règlement qui « résoudra le conflit israélo-palestinien, et mettra fin a l’occupation qui a commencé en 1967, reposant sur les bases de la conférence de Madrid, le principe de la terre contre la paix, les résolutions 242, 338 et 1397 de l’ONU, les accords précédemment atteints par les parties, et l’initiative du prince héritier saoudien Abdallah - approuvé par le sommet de la ligue arabe de Beyrouth. » L’idée de base qui émerge de tous ces lieux de rendez-vous, ces résolutions, et ces initiatives est que les frontières de 1967 devraient servir de point de départ des négociations pour une solution de deux états au conflit israélo-palestinien.

C’est l’administration de Bush qui a échoué, ou refusé, de saisir cette opportunité. « Si nous savons tous ce à quoi ressemble [un règlement politique], » a dit la semaine dernière Condi, « alors pourquoi n’avons-nous pas été capable d’y arriver ? » C’est la bonne question, naturellement, bien que Condi ne l’ait formulée que de façon rhétorique servant à couper court une conversation. Ce qu’elle refuse de reconnaître, c’est que la question a une réponse : nous n’y sommes pas arrivés parce qu’il y a des forces de tous les côtés de ce conflit qui ne veulent pas y arriver.

Sans aucun doute, les médias de référence américains vous indiqueront tout au sujet du front du refus palestinien. Ce qu’un reportage américain mettra rarement en avant est qu’Ariel Sharon a été également élu premier ministre en février 2001 sur une plateforme de refus. Il a rejeté l’idée même que le conflit puisse être résolu par un règlement négocié avec les Palestiniens. Au lieu de cela, Sharon a envisagé un retrait unilatéral d’environ la moitié de la Cisjordanie et de Gaza, laissant aux Palestiniens un peu plus de 42% des territoires qu’ils occupaient en 1967. Un « accord de non-belligérance » serait alors signé pendant « une période prolongée et indéfinie. » Ce dernier accord, naturellement, avait des résonances peu différentes de « la trêve à long terme » préconisée par le Hamas, qui partage le dégoût de Sharon pour un règlement politique définitif - bien que personne en notre monde n’ait qualifié le chef israélien d’extrémiste pour le fait de tenir exactement la même position.

La position de Sharon était si importante précisément parce qu’elle était tellement influente à Washington. En 2001, quand le Secrétaire d’Etat Colin Powell a mis en garde contre les conséquences d’un encouragement à Sharon dans sa recherche d’une solution militaire au soulèvement palestinien, le Président Bush aurait déclaré, « parfois une démonstration de force par une des parties peut vraiment décanter les choses. » Cette phrase pourrait tenir lieu d’épitaphe de l’Ere Bush.

En effet, dans la mesure où il devait être approché entièrement selon les vues du Président Bush, le conflit israélo-palestinien a été présenté essentiellement comme un problème de « terrorisme. » Sharon a été encouragé dans son escalade de la guerre en Cisjordanie avec comme justification le droit d’Israël de se défendre. Sous la tutelle de Sharon, l’administration a attribué la responsabilité du redémarrage de tout processus de paix uniquement aux Palestiniens. Ils étaient non seulement chargés d’empêcher toute violence supplémentaire contre les Israéliens, mais également de démanteler l’infrastructure militaire des équivalents du Hamas et du Fatah. L’administration a de temps en temps évoqué du bout des lèvres l’idée d’un gel des colonisations israéliennes, mais sans conviction (ou effet notable).

Quand le Président Bush courtisait les soutiens du monde arabe pour l’Irak en 2002, il a fait une déclaration symbolique de soutien en faveur d’un état palestinien - mais elle a été aussitôt assortie de conditions. Non seulement les Palestiniens devaient se conformer aux exigences de sécurité d’Israël comme préalable au moindre progrès vers un tel état, mais ils devaient également complètement réformer leur système politique : le Président Arafat devait transférer le contrôle des fonds et des forces palestiniennes de sécurité au parlement démocratiquement élu ainsi qu’aux cabinet et premier ministre qu’il avait nommé. (L’ironie de l’histoire est qu’après que le Hamas ait gagné les élections de l’année dernière, l’administration Bush a fait un revirement de 180 degrés et insiste maintenant sur le fait que les fonds et les forces de sécurité soient entièrement sous le contrôle du Président politiquement digne de confiance Abbas.) Comme l’ancien mentor de Rice, l’ex-conseiller de sécurité nationale Brent Scowcroft, l’a déclaré il y a trois ans, « Sharon mène le [Président Bush] par le bout du nez. Je pense que le président est hypnotisé. »

En fait, loin d’être orchestrés ou conçus par la Secrétaire d’Etat Rice, les événements qui se déroulent à l’heure actuelle au Moyen-Orient illustrent plutôt une recommandation faite par Scowcroft, reprochant explicitement à Rice sa prise en charge de la crise du Liban de l’été passé. Scowcroft avait alors averti que le grand marchandage stabiliserait la région dépendait, en premier lieu et avant tout, de la volonté politique des Etats-Unis de faire pression sur les parties concernées pour les amener à faire des choix impopulaires. Mais durant ces six dernières années, une telle volonté politique a visiblement été absente à Washington.

Voila, Madame la Secrétaire, certaines des raisons qui expliquent que nous « n’avons pas encore pu y arriver. »

Comme le journal Daily Star l’a écrit dans un éditorial lundi, si Condi Rice veut rétablir un processus de paix israélo-palestinien, alors ses capacités de persuasion seraient plus efficacement déployées non pas au Moyen-Orient, mais dans l’ « Aile Ouest » [1] de la Maison Blanche.

Note :

[1] West Wing : Aile Ouest , où sont situés les bureaux de l’exécutif à la Maison Blanche.

Tony Karon - Spécialiste du Moyen-Orient au Time, le 2 avril 2007
Version anglaise : Why Condi’s Diplomacy Should Start with Bush
Traduction : Karim Loubnani, Contre Info


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