16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Invasion de Naplouse : boucliers humains et entraves aux services médicaux

mercredi 4 avril 2007 - 15h:50

Anna Baltzer - The Electronic Intifada

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Comme toujours, l’armée se retirera pendant quelques heures, voire une journée entière, dans l’espoir que les hommes recherchés sortiront, seront repérés par un collaborateur travaillant pour Israël et qu’elle pourra les surprendre.

Naplouse, Palestine occupée, 7 mars 2007

Récit précédent (journal I) : /spip.php?article1180

Récit suivant (journal II) : /spip.php?article1143

La plupart des jeeps se sont retirées lundi à une heure avancée de la nuit, mais nous savions tous qu’elles allaient revenir. Les autorités israéliennes ont annoncé que l’opération n’était pas terminée car elles n’avaient toujours pas atteint leur but. Comme toujours, l’armée se retirera pendant quelques heures, voire une journée entière, dans l’espoir que les hommes recherchés sortiront, seront repérés par un collaborateur travaillant pour Israël et qu’elle pourra les surprendre.

JPEG - 42.1 ko
Un soldat israélien occupe le minaret d’une mosquée dans la vieille ville de Naplouse

Des soldats restaient aussi dans les maisons occupées où ils avaient l’habitude de monter des postes de francs tireurs camouflés.

Néanmoins, le retrait donna à la ville l’occasion de bouger et de respirer un peu avant la frappe suivante.

Nous avons saisi l’occasion pour documenter les dégâts et interviewer les victimes et leurs familles. Notre première étape nous mena à l’hôpital Al Watani, un parmi les nombreux qui avaient été encerclés pendant l’invasion.

D’après le directeur, les soldats avaient établi des points de contrôle pour tout qui entrait ou sortait de l’hôpital et avaient questionné plusieurs patients après avoir vérifié leur identité. Il se faisait du souci pour l’effet psychologique et physique qu’un interrogatoire, même mené avec ménagement, pouvait avoir sur des patients déjà fragilisés par la maladie.

A l’hôpital, nous avons rencontré la famille de Ghareb Selhab qui était dans un état critique depuis la veille. D’après son fils, Ghareb se trouvait dans la salle de bains quand du gaz lacrymogène se répandit dans la maison. En haletant, il dit à sa femme qu’il ne pouvait pas respirer et fit une crise cardiaque.

JPEG - 41 ko
Ghareb Selhab gît inconscient à l’hôpital Al-Watani

La famille a immédiatement appelé les secours, mais des soldats ont empêché l’ambulance de parvenir à la maison de Ghareb pendant plus d’une heure. A ce moment-là, Ghareb ne respirait plus et avait sombré dans un coma profond. Quand il est arrivé à l’hôpital, son pouls ne battait plus et il était trop tard. Les médecins le branchèrent sur un respirateur et cinq jours plus tard (dimanche dernier), la famille décida de débrancher l’appareil. Agé de 47 ans, Ghareb avait sept enfants.

Normalement, les volontaires de l’UPMRC servent de renforts si les ambulances ne peuvent pas passer, mais la malchance a voulu que des soldats faisaient une descente à l’UPMRC alors que Ghareb finissait de respirer faiblement.
Les soldats sont arrivés au dispensaire avec des chiens et ont entassés tous les médecins et les volontaires internationaux dans une pièce pendant qu’ils fouillaient le bâtiment.

JPEG - 34.5 ko
Alla, volontaire de l’UPMRC (Union des Comités Palestiniens de Secours Médical)

Mes collègues Nova et Yara ont entendu que l’on tabassait quelqu’un dans la pièce d’à côté. Le raid n’était qu’un des nombreux incidents au cours desquels l’armée arrêtait les travailleurs médicaux. Nous avons interviewé notre ami Alla qui a été arrêté pendant sa tournée avec un médecin lundi dernier.

Alaa a passé sept heures dans une jeep, menotté, injurié parce ses mains tremblaient (il a le pouls faible) et frappé s’il levait la tête. Il a été relâché à huit kilomètres au sud de la ville, à minuit, mais était de retour le mercredi pour aller livrer des médicaments avec l’UPMRC après une nouvelle incursion des soldats et la réinstauration du couvre-feu.

La deuxième invasion nous sembla plus dure que la première car il y avait encore plus de soldats et de jeeps dans tous les coins. Il y avait de plus en plus de familles coupées de tout, ce qui nous faisait présumer que leurs maisons étaient occupées. Parfois, les gens nous appelaient à l’aide, mais quand nous arrivions, personne ne répondait. Les voisins étaient sûrs que les habitants n’étaient pas partis de sorte que nous criions aux soldats que nous savions qu’ils étaient là et que nous voulions seulement leur livrer des médicaments. Vu notre insistance, on nous répondait parfois, et parfois on ne nous répondait pas.

Un jour, on nous a fait attendre pendant quarante minutes devant une maison occupée. Alors que nous attendions, nous voyions des soldats escorter des hommes arrêtés à l’intérieur et hors de la maison, notamment un groupe d’au moins dix volontaires médicaux du Croissant Rouge et de l’UPMRC. Après une demi-heure, ils ont laissé partir les travailleurs médicaux à condition que sept d’entre eux quittent la zone et que trois autres cesseraient de distribuer des médicaments.

Parfois, la détention était officieuse. Sous la menace de leur arme, les soldats réclamaient la pièce d’identité des quatre volontaires que nous accompagnions, puis refusaient de la leur rendre pendant toute une heure. Comme il est extrêmement dangereux de se faire prendre pendant le couvre-feu sans pièce d’identité, nous étions obligés d’attendre avec eux, au lieu d’aller livrer l’insuline qu’un diabétique attendait. Les soldats prétendaient qu’ils vérifiaient les pièces d’identité, mais passaient des heures à bavarder, à manger et à nous prendre en photo en train d’attendre.

Il y avait tellement d’incidents que j’arrêtai de les noter, mais il y en a un qui reste fiché dans ma mémoire et que Nova et Yara me racontèrent. Elles étaient en train de livrer du pain et des médicaments avec trois amis de l’UPMRC quand des soldats les hélèrent avec l’ordre d’approcher de leur jeep. Un à un nos amis ont reçu l’ordre d’ouvrir leur veste, de faire tomber leur pantalon, de se retourner et de lever les mains en l’air contre le mur.

Gênées, Nova et Yara ont détourné les yeux pendant que les hommes étaient obligés de se déshabiller devant elles. Les soldats les ont laissés partir, mais nous n’avons plus guère vu nos amis depuis ; je peux imaginer leur embarras vu que dans leur culture la modestie et la séparation entre les sexes sont tellement importantes.

JPEG - 68.5 ko
Volontaires médicaux détenus par des soldats israéliens

Parfois, l’humiliation est pire que les châtiments physiques. J’ai entendu des histoires de jeunes femmes arrêtées, photographiées nues et menacées que si elles ne collaboraient pas avec l’armée (comme espionnes), leurs photos seraient distribuées, les plongeant elles et leurs familles dans une honte irréparable. Ceci peut être plus efficace que la corruption, voire la torture. Il vaut la peine de noter que beaucoup de détenus sont des jeunes gens qui n’ont pas plus de treize ans et qui disent qu’on ne leur pose absolument pas de questions sur les hommes recherchés. Les soldats utilisent plutôt divers moyens pour les encourager à collaborer.

La stratégie consiste à prendre pour cible les jeunes et les faibles. Nous avons pris le témoignage d’une petite fille de onze ans, du nom de Jihan, enlevée de chez elle pour servir de bouclier humain après que son père et sa grande s ?ur eurent refusé de collaborer. L’armée est venue la chercher pendant la nuit et l’a obligée à marcher devant dix soldats armés, alors qu’ils allaient de maison en maison dans la vieille ville. Quand elle a protesté, ils ont menacé de l’arrêter.

JPEG - 29.6 ko
Jihan

Jihan n’a pas été la seule jeune à servir de bouclier humain cette semaine. Une famille m’a raconté que les soldats sont entrés dans la maison en faisant un trou dans le mur, ont enfermé 27 personnes dans une seule chambre, puis ont emmené deux enfants pour ouvrir les portes devant eux pendant leur raid dans le reste du quartier. Six heures plus tard, les femmes et les hommes âgés ont été relâchés, mais les boucliers humains et tous les hommes ont été menottés et emmenés. Abdallah était l’un d’eux et nous a raconté ce qui suit :

" Au total, nous étions cinq, âgés de 17 à trente ans. Ils nous ont fait sortir de la maison par le trou qu’ils avaient percé dans le mur. C’était difficile de passer par le trou sans l’usage de nos mains. Ensuite, ils nous ont fait grimper une pente raide et rocheuse derrière la maison, ce qui était également très dur avec nos mains derrière le dos.
Les soldats nous ont amenés dans une maison du quartier de Raas Al Ain. Pendant les dix heures qui ont suivi, on ne nous a pas laissés utiliser le WC et pour moi ça pressait beaucoup pendant presque tout ce temps. Après quelques heures, nous avons demandé quand on nous délierait les mains car nous avions mal dans les épaules, surtout mon frère qui a de l’embonpoint et qui ne pouvait pas rester si longtemps avec les mains derrière le dos. Un soldat est venu par derrière et au lieu de relâcher nos liens il les a resserrés pour nous punir d’avoir osé demander. Ça faisait très mal. Bientôt, je n’avais plus de sensation dans les mains et j’ai demandé à un autre soldat s’il pouvait desserrer les menottes. Il me répondit qu’on allait nous relâcher bientôt.

Au lieu de cela, on nous conduisit vers les jeeps ; on nous passa un bandeau sur les yeux et on nous emmena à la base militaire de Huwwara au sud de Naplouse. Les Mukhabarat [services de renseignement israéliens] nous attendaient et quand nous sommes arrivés ils ont enlevé nos bandeaux, examiné nos pièces d’identité et posé quelques questions. Votre nom ? D’où êtes-vous ? Que faites-vous ? En deux minutes, nous avions répondu à leurs questions. Ensuite, ils nous ont remis les bandeaux pendant six heures encore. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est que d’être détenu pendant 17 heures, enmenotté et avec les yeux bandés. Essayez de fermer les yeux et d’attacher vos mains pendant une heure seulement, vous verrez : c’est une éternité et vous aurez l’impression de commencer à perdre la tête.

De 21 heures à 3 heures du matin ils nous ont promenés dans différentes jeeps. Nous trébuchions sans cesse car nous ne pouvions rien voir et n’avions pas l’usage de nos mains. A trois heures du matin, ils ont enlevé nos bandeaux et nos menottes, nous ont remis un papier en hébreu qui disait que nous avions été à Huwwara et nous ont dit que nous pouvions partir. Nous ne comprenions pas la logique de la détention et des menottes pendant plus de dix heures, sans nourriture, sans eau et sans accès aux toilettes simplement pour nous poser quelques bêtes questions dont ils connaissaient sans doute déjà la réponse.

A cause du couvre-feu, il n’y avait pas de transport et nous avons donc dû marcher pendant huit kilomètres pour rentrer à Naplouse. En fait, nous avons couru pendant une partie du chemin car nous avions peur - il y avait beaucoup de chiens sur la route et nous avions aussi peur d’être pris dans les affrontements entre les Palestiniens et l’armée. Nous sommes arrivés à la maison près de deux heures plus tard, vers cinq heures du matin.
Les soldats sont retournés deux fois de plus à la maison d’Abdallah pendant l’occupation et il est probable qu’ils retourneront encore. "

La troisième fois, ils ont détruit beaucoup d’affaires, ont retourné les meubles et cassé des verres et des fenêtres. Comme le montre l’histoire d’Abdallah, on ne voit pas très bien si les raids et les détentions ont pour but d’obtenir des renseignements ou s’il s’agit de harcèlement général ou au mieux, de mépris pour les droits des résidents.

JPEG - 62.1 ko
Ces personnes racontent comment elles ont été réveillées à quatre heures du matin et détenues avec les étudiants d’une résidence universitaire d’An-Najah pendant six heures.

Nous avons documenté un autre raid dans une résidence universitaire où les soldats sont arrivés à 4 :15 du matin, ont jeté des bombes sonores et exigé que tous les résidents évacuent le bâtiment sans quoi ils le détruiraient avec eux dedans. Les étudiants et les résidents se sont précipités dehors en pyjamas et ont été conduits dans le sous-sol d’un bâtiment attenant. Les femmes et les enfants étaient dans une pièce, tandis que les hommes -et les enfants dont certains n’avaient pas plus de quatorze ans - étaient menottés et assis par terre dans une autre pièce.

JPEG - 41.2 ko
Porte d’une chambre à Al-Najaa détruite par des soldats israéliens

Pendant les six heures qui suivirent, il fut interdit aux hommes de parler, d’ouvrir une fenêtre pour laisser entrer de l’air frais ou même de s’appuyer contre le mur pour dormir.

Quand les soldats sont partis à dix heures du matin (sans avoir défait les liens en plastique des hommes — un voisin est arrivé pour les libérer) les étudiants et les familles ont retrouvé leurs logements en ruines. Chaque appartement avait été envahi, les soldats avaient fait sauter les portes à l’explosif, les vitres étaient brisées, les lampes pendaient au bout de leurs douilles et l’ascenseur avait été pulvérisé.

Les chambres à coucher avaient été retournées, les manuels et les devoirs éparpillés sur le sol, les photos et les posters de vedettes arrachés du mur. Comme pour tous les autres raids pendant l’invasion, aucune des personnes recherchées n’a été trouvée dans le bâtiment. Mais combien de nouveaux combattants cette opération a-t-elle engendrés ?



14 mars 2007 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : AMG


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.