Non, tous les citoyens israéliens ne sont pas égaux
vendredi 25 mai 2012 - 06h:45
Yousef Munayyer
The New York Times
Ce qui existe aujourd’hui entre le Jourdain et la Méditerranée est donc essentiellement un État, sous contrôle israélien, et où les Palestiniens ont, à différents niveaux, des droits limités : 1,5 million sont des citoyens de seconde classe, et 4 millions ne sont pas des citoyens du tout.
Je suis palestinien, je suis né dans la ville israélienne de Lod, et par conséquent, je suis un citoyen israélien. Mon épouse ne l’est pas ; c’est une Palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée par Israël. Alors que nos deux villes sont éloignées de 30 miles simplement, c’est à près de 6000 miles de là que nous nous sommes rencontrés, dans le Massachusetts, où nous fréquentions des collèges voisins.
Des tas de murs, de check-points, de colonies et de soldats comblent cet espace de 30 miles entre nos deux villes, ce qui fait que nous avions plus de chances de nous rencontrer de l’autre côté de la planète, que près de chez nous.
Jamais cette réalité n’a été plus marquée qu’avec nos voyages depuis notre résidence actuelle et en dehors de Washington.
L’aéroport international Ben-Gourion à Tel Aviv se situe à la périphérie de Lod (Lydda en arabe), mais parce que mon épouse a une carte d’identité palestinienne, elle ne peut y prendre l’avion ; elle est renvoyée à Amman, en Jordanie. Si nous voulons voyager ensemble - une tâche que la plupart des couples trouvent agréable -, nous devons nous préparer à un cauchemar d’un point de vue logistique pour nous rappeler, comme à la moindre occasion, que nous sommes profondément inégaux devant la loi.
Même si nous prenons l’avion ensemble à Amman, nous sommes obligés d’emprunter des passerelles différentes, à deux heures d’intervalle, et d’endurer souvent des attentes et des interrogatoires humiliants juste pour venir en Israël et en Cisjordanie. Les lois conspirent à nous séparer.
Si nous vivions dans la région, il me faudrait renoncer à mon droit de séjour car la législation israélienne interdit à mon épouse de vivre avec moi en Israël. Ceci pour éviter ce qu’a appelé autrefois le Premier ministre Benjamin Netanyahu l’ « excédent démographique ». Les bébés palestiniens qui naissent en Israël sont considérés comme des « menaces démographiques » par un État faisant tout constamment pour garder une majorité juive. (Bien entendu, les Israéliens qui épousent des Américains ou tout autre étranger, du moment qu’il ne soit pas palestinien, ne sont pas soumis à ce traitement.)
La semaine dernière marquait le 64e anniversaire de l’indépendance d’Israël ; c’était aussi la commémoration pour les Palestiniens de la Nakba, ou « catastrophe », au cours de laquelle de nombreux habitants natifs de Palestine ont été transformés en réfugiés.
En 1948, la brigade israélienne commandée par Yitzhak Rabin a ?uvré à l’expulsion de la population palestinienne de la ville de Lydda. Quelque 19 000 sur les 20 000 habitants palestiniens natifs de la ville ont dû partir de force. Mes grands-parents faisaient partie du millier qui est resté.
Ils ont eu la chance de devenir des déplacés internes, et non des réfugiés. Des années plus tard, mon grand-père a pu racheter sa propre maison - absurdité cruelle, mais sort meilleur que celui qui fut imposé à la plupart de ses voisins, qui n’ont jamais été autorisés à refaire leur vie dans leur ville de naissance.
Trois décennies plus tard, en octobre 1979, le New York Times rapportait qu’Israël avait interdit à Rabin de raconter en détail dans ses mémoires ce qu’il avait reconnu comme une « expulsion » de « la population civile de Lod et de Ramle, chiffrant celle-ci à quelque 50 000 Palestiniens ». Ce que voulait Rabin en fait, lui qui a été Premier ministre, c’était montrer comment « il avait été essentiel de chasser les habitants ».
Deux générations après la Nakba, les effets de la politique discriminatoire israélienne sont encore présents. Israël cherche toujours à préserver son image en se présentant comme un bastion de la démocratie qui traite bien ses citoyens palestiniens, tout en poursuivant ses politiques intolérantes à l’encontre de cette même population. Cette discrimination a une longue histoire ici.
Dans les années cinquante, des lois nouvelles ont permis à l’État de prendre le contrôle des terres des Palestiniens en classant ceux-ci comme « absents ».
Évidemment, c’est l’État qui avait fait d’eux des absents, en empêchant les réfugiés de revenir en Israël et en interdisant aux Palestiniens déplacés internes d’avoir accès à leurs terres. Ce dernier groupe était, par ironie, appelé les « absents présents » - ils pouvaient voir leurs terres, mais ils ne pouvaient pas s’y rendre en raison des restrictions militaires, ce qui en fin de compte, leur permettait juste de voir comment l’État les leur confisquait. Jusqu’en 1966, les citoyens palestiniens ont été régis en vertu de la loi martiale.
Aujourd’hui, un juif, quel que soit son pays, peut venir en Israël, alors qu’un réfugié palestinien, qui détient un droit réel en Israël, ne le peut pas. Et bien que les Palestiniens représentent environ 20 % de la population d’Israël, il a été attribué moins de 7 % du budget 2012 aux citoyens palestiniens.
Tragiquement, pour les Palestiniens, le sionisme requiert que l’État instaure et maintienne une majorité juive, même au détriment de ses citoyens non juifs, et l’occupation de la Cisjordanie n’en est qu’une partie. Ce qui existe aujourd’hui entre le Jourdain et la Méditerranée est donc essentiellement un État, sous contrôle israélien, et où les Palestiniens ont, à différents niveaux, des droits limités : 1,5 million sont des citoyens de seconde classe, et 4 millions ne sont pas des citoyens du tout. Si ce n’est pas là un apartheid, alors quoi que ça puisse être, ce n’est certainement pas une démocratie.
L’incapacité des dirigeants israéliens et américains à composer avec cette réalité non démocratique n’aide pas. Même si une solution à deux États voyait le jour, ce qui paraît bien illusoire à ce niveau, une contradiction fondamentale persisterait : plus de 35 lois dans un Israël qui se dit démocratique discriminent les Palestiniens qui sont des citoyens israéliens.
Quant à tous ces discours sur des valeurs qui seraient communes à Israël et aux États-Unis, la démocratie, malheureusement, n’en fait pas partie pour l’instant, et elle n’en sera pas tant que les dirigeants d’Israël ne seront pas disposés à reconnaître les Palestiniens comme des égaux, pas simplement en parole, mais en droit.
Yousef Munayyer est directeur général du Jerusalem Fund.
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23 mai 2012 - The New York Times - lettre d’Omar Barghouti du 24 mai 2012 - omar.barghouti@gmail.com - traduction : Info-Palestine.net/JPP