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Libération de Thaer Halahleh : le revers de la médaille

mercredi 23 mai 2012 - 06h:28

Linah Alsaafin

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« Ce que la famille de Thaer Halahleh m’a dit à propos de sa libération réchauffe le c ?ur mais en même temps, soulève des questions troublantes, » écrit Linah Alsaafin

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Sit-in des Palestiniens devant la maison du prisonnier Thaer Halahleh dans le village de Kharas, en Cisjordanie (APA images)

Ma montre indiquait 1h30, heure palestinienne, et je ne dormais toujours pas. J’étais dans mon lit, allongée sur le côté, et faisais de mon mieux pour ignorer ce sentiment désagréable et nauséeux qui me donne des papillons dans l’estomac. Insomniaque, je ne pouvais m’empêcher de penser au déroulement des évènements qui pourraient avoir lieu lors de la commémoration du Jour de la Nakba.

Tout d’un coup, les vibrations discordantes de mon téléphone m’ont fait sauté d’un bond pour le saisir, et qu’elle fut grande ma surprise en voyant le nom s’affichant sur l’écran. C’était vraiment la dernière personne à laquelle j’aurais pensé : Abu Thaer Halahleh, le père de Thaer Halahleh, le prisonnier Palestinien en grève de la faim. J’ai immédiatement répondu.

Mais ce qui m’a été rapporté au cours de la conversation me laisse partagée entre deux sentiments. D’une part, la nouvelle que je venais d’apprendre ma enchantée et ma réchauffée le c ?ur. D’autre part, j’ai été traversée par une sérieuse préoccupation au sujet d’un modèle de pression visant à isoler les prisonniers et les contraindre à accepter les offres et les accords.

L’appel téléphonique s’est déroulé ainsi :

« Bonjour »

« Bonjour...Um Mohamed ? »

« Non, c’est sa fille »

« Fathiya ? »

« Oui, Fathiya, la s ?ur de Thaer »

J’ai senti que mon c ?ur allait cesser de battre. Pour peu, j’ai pensé qu’elle m’a appelée pour m’annoncer la mort de Thaer.

Elle a repris, en raclant sa voix : « Je voulais juste te dire que...Je suis très heureuse de t’annoncer que Thaer a décidé ce matin de mettre un terme à sa grève de la faim. »

Cette nouvelle me gonfla le c ?ur et, émue j’ai crié : « Et les détails, je veux les détails ».

D ?une voix pétillant de joie, elle a répondu : « Il y a eu la signature d’un accord dans lequel Israël s’engage à ne pas renouveler la détention des prisonniers. A ce titre, Thaer sera libéré le 5 juin et recevra entre-temps l’assistance médicale nécessaire pour l’aider à retrouver ses force et se rétablir. »

« Qu’en est-il de Bilal Diab et des autres grévistes ? » avais-je demandé.

« Je ne suis pas encore sûre pour Bilal... C’est Thaer qui a appelé ma famille à Kharas, vers 00h45, pour leur annoncer la nouvelle. Vers 1h, l’information avait déjà fait le tour du village et les gens ont tiré en l’air pour exprimer leur joie. Même les haut-parleurs des mosquées ont lancé des ’Allah Akbar’. Mon père était resté sceptique en apprenant la nouvelle. Heureusement que Thaer avait droit à un second coup de fil et cette fois il a appelé chez nous. Nous avions failli ne pas répondre car c’était un numéro privé...Bref, je te passe mon père. »

« Mon oncle ! C’est une nouvelle fantastique » avais-je félicité Abu Thaer à l’autre bout du fil.

« Oui ma fille. Louange à Dieu. Tu as su qu’il sera libéré le 5 juin ? »

« Oui. Mais dis moi, il était comment au téléphone ? Ça fait quoi de pouvoir lui parler après deux ans ? »

« Il est optimiste et a un très bon moral, et sa voix... Bon tu sais, c’est déjà très bon signe qu’il puisse parler après 77 jours de grève de la faim. Mais il a dit une chose qui m’a profondément secoué. Il a voulu savoir que si je n’étais pas satisfait de cette décision, il serait prêt à poursuivre sa grève. »

Je lui ai ensuite demandé s’il disposait d’autres informations. Il a répondu que tous les détenus administratifs ont signé un accord avec les Services Pénitentiaires Israéliens, en présence d’un médiateur égyptien. Avec cet accord, Israël s’engage à libérer les détenus dès qu’ils finissent leur peine et promet de ne pas renouveler leur détention, à condition qu’ils suspendent leur grève de la faim » Et d’ajouter : « Cela signifie que Bilal Diab sera libéré le mois d’août, date à laquelle sa détention administrative prendra fin. »

Pour rappel, Bilal a été arrêté le 17 août 2011.

Le père de Thaer a poursuivi : « Je ne sais pas si la libération de Bilal interviendra le 17 août ou non. Tu connais mieux que moi l’occupation. Ils trouveront sans doute une excuse pour reporter, même de quelques jours, la mise en liberté des prisonniers. Regarde l’exemple de Thaer, sa détention administrative prend fin le 27 mai et pourtant, il ne sera libre qu’une semaine plus tard. »

Un accord qui soulève de nouvelles questions sur le rôle joué par Jawad Boulos et la pression exercée sur les prisonniers en grève de la faim

L’accord a été conclu après minuit dans l’hôpital carcéral de Ramle. On ne sait pas exactement si Jamil Khatib, l’avocat de Thaer et Bilal, était présent. Par contre, ce qui est sûre, c’est la présence de Jawad Boulos, l’avocat qui a réglé l’affaire de Khader Adnan et celle, encore plus obscure, de Hana al-Shalabi.

En effet, Israël a toujours refusé que des avocats choisis par les prisonniers Palestiniens soient présents. C’est une raison évidente qui éveille des soupçons sur cette procédure où Israël autorise l’entrée d’avocats qui ne représentent pas les prisonniers.

Maan News Agency a rapporté, en date du 14 mai, les déclarations d’un Ministre de l’Autorité Palestinienne, Issa Qaraqe, aux médias, expliquant que Boulos avait été dépêché à la prison de Ramle pour s’entretenir avec Thaer Halahleh et Bilal Diab, les deux compagnons en grève de la faim.

Étaient également présents le médiateur Égyptien, le Haut Comité des Prisonniers et les responsables des Services Pénitentiaires Israéliens.

Pour rappel, Boulos est l’homme clé dans l’affaire de Hana al-Shalabi qui s’est soldée par la libération de la détenue administrative et sa déportation vers Gaza à compter du 1er avril. Cette décision, prétendent Boulos et l’Autorité Palestinienne est le ’choix’ d’al-Shalabi. Toutefois, dans une interview accordée à The Electronic Intifada, Hana et son père avaient récusé cette décision. Elle a par ailleurs déclaré à The Electronic Intifada que les circonstances controversées menant à l’accord de sa déportation vers Gaza doivent être élucidées par son avocat [Boulos] afin que tout le monde prenne acte de ce qui s’est passé.

Ce témoignage suscite des doute sur le prétendu ’choix’ et soulève en parallèle l’hypothèse qu’elle ait pu être induite en erreur par une fausse information visant à lui faire accepter l’offre.

En assemblant toutes ces informations, une question cruciale émerge : s’agit-il d’un modèle bien établi ? Il apparait clair qu’Israël et ses collaborateurs soucieux de mettre fin à la grève tentent d’établir des conditions à travers lesquelles, les prisonniers sont séparés de leurs familles, leur propre représentation juridique et un personnel médical indépendant. Ensuite, Israël et l’Autorité Palestinienne désigneront un avocat ?’bon flic’’ pour exercer une pression sur les prisonniers et les amener à accepter l’offre.

C’est pourquoi, il faut absolument qu’il y ait des explications et des responsabilités dans ce qui semble devenir le modèle Boulos.

Un accord, mais est-ce une victoire ?

Le père de Thaer était dans la rue, en train d’attendre un taxi pour le conduire chez lui à Kharas, Hébron. Il n’avait pas dormi depuis trois jours.

J’ai voulu plaisanter avec lui en lançant : « Il faut que vous prépariez le mansaf » Ce à quoi il a répondu en éclats de rire : « Mais bien sûr, et tu es invitée. Nous t’attendons avec ta maman à Kharas. »

L’heure est donc à la fête. Il est vrai que survivre à une grève de la faim ayant duré deux ou trois mois est source de joie et surtout de soulagement. Thaer, Bilal et les six autres grévistes ont certes fait entendre leur voix, mais cet accord est loin d’être une victoire.

Thaer et Bilal avaient à maintes reprises promis que leur jeûne ne finira que par une libération immédiate ou par le martyre. Seulement voilà, l’implication de Jawad Boulos dans un arrangement similaire à celui de Khader Adnan en dit long sur les circonstances et les intentions qui sont plus complexes qu’il n’y paraît.

* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux USA et en Palestine. Jeune palestinienne de 21 ans, à la fois de Gaza et de Cisjordanie, elle est active dans la résistance populaire non armée et blogueuse pour The Electronic Intifada.

De la même auteure :

- Lettre de Thaer Halahleh à sa fille : « A ma bien-aimée Lamar... Pardonne moi » - 15 mai 2012
- Pourquoi l’Autorité Palestinienne a peur de « l’intifada dans les prisons israéliennes » - 15 mai 2012
- La bataille des ventres vides : au nom de Thaer Halahleh - 12 mai 2012
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15 mai 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à : http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.net - Niha


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