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Une Autorité palestinienne silencieuse alors qu’Israël consolide son monopole sur le carburant

dimanche 13 mai 2012 - 11h:58

Charlotte Silver - E.I

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Le Hamas a pu exploiter l’unique centrale d’électricité à Gaza entièrement avec le carburant entré en contrebande depuis le Sinaï, et ainsi satisfaire presque tous les besoins en carburant, à un prix considérablement réduit.

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Israël exerce un contrôle exclusif sur la fourniture de carburant à la Cisjordanie
et la bande de Gaza occupées.
(Ashraf Amra/APA Images)




« On ne fait pas d’argent dans ce métier, tout ce que je gagne sert à payer l’essence » se lamente un chauffeur de taxi à Ramallah, tout en dévalant une rue aux abords de la ville de Cisjordanie occupée.

Les chauffeurs de taxi ne sont pas les seuls à ressentir la hausse du prix de l’essence en Cisjordanie. Le prix des produits alimentaires de base - maïs, huile végétale et pain - est plus élevé que jamais, après avoir monté constamment depuis 2011.

La Cisjordanie ressent les effets de la hausse mondiale du prix du pétrole - et, par conséquent, de presque tous les autres produits. De son côté, la bande de Gaza a sombré dans une phase aiguë depuis que la contrebande de l’essence venant d’Égypte a été réduite à un minimum, et le gouvernement à direction Hamas à Gaza a été forcé de se procurer à nouveau l’essence coûteuse qui vient d’Israël.

Israël exerce des droits exclusifs sur la fourniture d’essence à la population palestinienne, en dépit du fait que la Cisjordanie et la bande de Gaza pourraient importer l’essence moins chère de ses voisins riches en pétrole, et alliés présumés, ou puiser dans les réserves gazières au large des côtes de Gaza.

La cherté de l’essence - et, dans le cas de Gaza, sa rareté - est une conséquence du contrôle de l’essence par Israël, lequel contrôle n’a pas encore été remis en cause par l’Autorité palestinienne de Ramallah. Selon les accords d’Oslo, l’AP est tenue de ne pas vendre son essence plus de 15 % moins cher que le prix du marché en Israël.

Selon Charles Shamas, fondateur du groupe Mattin, organisation de conseils et de recherche basée à Ramallah, le monopole d’Israël sur la fourniture des carburants à la Cisjordanie s’intègre dans une stratégie réfléchie visant à maintenir les Palestiniens sous une dépendance structurelle d’Israël et de ses décideurs politiques.

« De tels monopoles sur l’approvisionnement constituent une forme de pouvoir. Ils octroient des moyens commodes pour exercer des pressions politiques sur l’Autorité palestinienne et les Palestiniens ordinaires, et pour les adapter aux intérêts d’Israël » dit Shamas.

Gaza soumise à des pénuries chroniques en électricité

Gaza a ressenti les effets puissant des muscles stratégiques d’Israël, en étant victime de coupures d’électricité arbitraires et d’un manque constant d’électricité, conséquences du rationnement et du maigre ravitaillement en carburant autorisé à entrer dans la bande côtière en quantité insuffisante pour satisfaire les besoins de son 1,6 million d’habitants.

C’est à travers cette optique que Shamas voit l’incapacité de développer les champs gaziers au large de Gaza, découverts il y a 13 ans.

« La question des gisements de gaz a au départ été bien accueillie dans l’espoir que cela apporterait (à la Cisjordanie et à la bande de Gaza) un plus grand niveau d’indépendance » explique Shamas.

Découverts dans les années quatre-vingt-dix par British Gaz Group (BG), les champs gaziers de Gaza sont estimés à 1 - 1,4 milliard de mètres cube. Bien que cette estimation paraisse faible par rapport aux réserves énergétiques de ses voisins du Golfe, elle est suffisamment importante pour répondre aux besoins domestiques palestiniens des 15 prochaines années.

Depuis, BG a réalisé les études préliminaires et est arrivé à la conclusion que les champs étaient financièrement viables, et un accord a été conclu entre BG, le Fonds d’investissements de la Palestine et une entreprise appelée Consolidated Contractors Company (CCC), pour développer et commercialiser les gisements.

Aucune extraction

Pourtant, 13 ans après que les projets de développement aient été élaborés, pas un seul gallon n’a encore été extrait.

« Développer les champs gaziers de Gaza briserait le monopole important de l’approvisionnement par les Israéliens. Ceux-ci ne veulent pas voir les Palestiniens se donner une autonomie en matière énergétique. » dit Shamas.

Victor Kattan, auteur et directeur de programme au groupe de recherche al-Shabaka, a récemment révélé que, malgré les rumeurs qui circulaient pas plus loin qu’en 2011, et selon lesquelles Israël était en négociation avec l’Autorité palestinienne sur les conditions de forages au large de Gaza, toute discussion avait été stoppée au tout début 2007 (Voir : « Les champs gaziers au large de Gaza : un cadeau ou une malédiction ? »).

Durant sa propre enquête, Kattan a découvert grâce à une source à la CCC, que les projets se heurtaient à un obstacle insurmontable avec le refus d’Israël de laisser les Palestiniens accéder à leurs propres gisements gaziers avant qu’ils n’aient promis de le vendre à Israël à un prix significativement plus bas que les prix mondiaux.

Israël comptait sur une source de carburant en 2012 avec le champ gazier de Tamar - à environ 80 km au large de la côte de Haïfa -, aussi sa position intransigeante semble avoir été ancrée dans le souhait politique de maintenir tout son contrôle, plutôt que dans la nécessité de s’assurer un gaz à bon marché.

« Depuis quelques temps, Israël a effectivement déclaré au milieu d’affaires (palestinien), "Nous voulons bien que vous fassiez des affaires, mais pas sans nous". Monopoliser l’accès aux opportunités commerciales est un autre moyen de contrôle qui ne coûte rien à Israël » dit Shamas.

Le secret

Omar Shaban, économiste à Gaza, appelle les gisements de gaz de Gaza le « livre noir », en raison du manque de transparence du Fonds d’investissements de Palestine - et du peu d’informations qui en émane. Ce Fonds est une entreprise de capital-risque, créée en 2003 soi-disant pour aider à stimuler le développement économique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Aussi longtemps qu’Israël disposera du monopole de la fourniture en carburant, il pourra limiter les quantités livrées. La compagnie pétrolière israélienne, Dor Alon, détient actuellement les droits exclusifs des livraisons de carburant pour Gaza. Agissant sur ordres directs des autorités israéliennes, Dor Alon ne livre que ce que le gouvernement israélien autorise pour Gaza, ce qui est loin de répondre aux besoins de la population.

Cette dépendance renforcée et souvent paralysante impose des coupures quotidiennes d’électricité sur la bande de Gaza et contraint les Palestiniens dans Gaza à des situations de réel péril. Si les dangers sont immédiatement moins apparents en Cisjordanie, la capacité de fonctionnement de l’économie est fortement compromise par le prix élevé du carburant israélien.

Nécessité de diversifier

Pour Shamas, il est important de diversifier les sources de ravitaillements en carburant, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, afin d’entamer un processus qui mettrait les Palestiniens en mesure de réduire, et finalement d’écarter le contrôle israélien sur une telle nécessité fondamentale de la vie quotidienne.

Jusqu’à février 2011, le gouvernement Hamas a démontré avec succès les avantages qu’il y avait à briser le monopole israélien. Shamas explique que le Hamas a pu exploiter l’unique centrale d’électricité à Gaza entièrement avec le carburant entré en contrebande depuis le Sinaï, et ainsi satisfaire presque tous les besoins en carburant, à un prix considérablement réduit.

Avec le carburant de contrebande dans Gaza, les chauffeurs payaient 1,5 shekel le litre d’essence (30 centimes d’ ?) contre 7 shekels (1 ? 40 centimes) en Israël et en Cisjordanie.

A cette époque, près de 600 000 litres d’essence entraient en contrebande chaque jour, permettant de satisfaire 80 à 90 % des besoins de la population, estime Shamas.

« C’était bien plus supportable que du temps où nous dépendions des Israéliens » dit-il.

Mais tout cela s’est terminé quand l’Égypte s’est mise à réprimer les activités de contrebandes dans le Sinaï, il y a plus d’un an.

Maintenant, Gaza est contrainte de recommencer docilement à recevoir sa quote-part de carburant d’Israël. Les récents pourparlers de réconciliation entre le dirigeant du Hamas, Khaled Meshaal, et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ont abouti à un accord selon lequel l’AP reprendrait ses paiements à Israël des livraisons de carburant à Gaza.

Alors qu’il est parfaitement clair que la population palestinienne aurait avantage à se procurer son carburant auprès d’une tierce partie, l’AP jusqu’à présent ne paraît pas encline à s’orienter vers de telles options possibles. Par ailleurs, il est également curieux - pour ne pas dire plus - que l’AP ait si rapidement et tranquillement cédé, tout en gardant le droit à une source indépendante de carburant.

Toutefois, Shamas est plein d’espoir dans une transformation radicale dans un avenir proche. « Il existe une volonté croissante, et une capacité à admettre et à affronter une réalité politique » dit-il.


Charlotte Silver est journaliste. Elle est basée en Cisjordanie. Elle peut être jointe à l’adresse : charlottesilver@gmail.com.

Voir notamment sur ce sujet :

- Gaza est au bord de l’abîme - Saleh Al-Naami
- Crise humanitaire à Gaza : ni eau, ni électricité, ni carburant - Ziad Medoukh
- En urgence, du carburant arrive d’Égypte via les tunnels dans la bande de Gaza - Ma’an
- Aggravation de la crise énergétique à Gaza - Ma’an
- L’unique centrale électrique de Gaza a cessé de fonctionner - Ma’an
- Chantage : Israël menace de priver définitivement Gaza d’eau et d’électricité - Ma’an
- Le pétrole de l’apartheid - Macdonald Stainsby
- S. Nasrallah menace de bombarder les installations pétrolières israéliennes SI... - Al-Manar
- Champs gaziers : échanges de menaces entre « Israël » et le Liban - Al-Manar
- Le rapt des réserves naturelles de Gaza par Israël - 1e, 2e, 3e et 4e parties - Peter Eyre
- La guerre et le gaz naturel : l’invasion israélienne et les gisements de Gaza en mer - Michel Chossudovsky
- Gaza, des ressources pétrolières en mal d’exploitation - George J. Nasr

Ramallah, le 11 mai 2012 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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