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Le vrai danger de la Haggadah : « Déversez votre colère ! »

mercredi 11 avril 2012 - 06h:21

Uri Avnery - Counterpunch

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Plus que tout autre texte juif, la Haggadah forme l’esprit juif conscient - voire inconscient - aujourd’hui comme dans le passé, influençant notre comportement collectif et la politique nationale israélienne.

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Ury Avnery avec Yasser Arafat à Beyrouth - « Notre rôle n’est qu’un petit rôle dans une lutte mondiale pour la paix, la justice et l’égalité entre les êtres humains et entre les nations, pour la préservation de notre planète. Tout cela peut se résumer en un mot, qui à la fois en hébreu et en arabe signifie pas seulement la paix, mais aussi l’intégrité, sécurité et bien-être : Shalom, Salam. » - Discours d’Ury Avnery pour l’acceptation du prix Nobel alternatif, 9 décembre 2001..

J’écris ceci le vendredi soir, veille de la Pâque. En ce moment partout dans le monde, des millions de juifs sont réunis autour de la table familiale, observant Seder, lisant à haute voix le même livre : la Haggadah, qui conte l’histoire de l’Exode d’Egypte.

L’impact de ce livre sur la vie juive est immense. Chaque juif prend part à cette cérémonie depuis sa plus tendre enfance et joue un rôle actif dans le rituel. Où qu’ils aillent plus tard dans leur vie, un homme juif ou une femme juive emporteront avec eux le souvenir de la chaleur de cette réunion familiale, son atmosphère magique - ainsi que le message ouvert et subliminal véhiculé par le texte.

Celui qui a inventé le rituel de Seder ("l’ordre"), il y a bien des siècles, était un génie. Tous les sens sont impliqués : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher. Il s’agit de consommer un repas ritualisé, de boire quatre verres de vin, de toucher des objets symboliques variés, de jouer un jeu avec les enfants (chercher un morceau de matza [pain non levé] caché). A la fin on chante ensemble différents chants religieux. L’effet cumulatif est magique.

Plus que tout autre texte juif, la Haggadah forme l’esprit juif conscient - voire inconscient - aujourd’hui comme dans le passé, influençant notre comportement collectif et la politique nationale israélienne.

Il y a différentes manières de voir ce livre.

LITTERATURE

Comme ?uvre littéraire, la Haggadah est plutôt inférieure. Le texte est dépourvu de beauté, plein de répétitions, de platitudes et de banalités.

Cela peut étonner. La Bible hébraïque - la Bible en hébreu - est une ?uvre d’une beauté unique. A plus d’un endroit, sa beauté est intoxicante. Les sommets de la culture occidentale Homère, Shakespeare, Goethe, Tostoï, ne sont pas ses égaux. Même les textes religieux juifs ultérieurs - Mishnah, Talmud et autres - alors qu’ils ne sont pas aussi euphorisants, contiennent des passages qui ont une valeur littéraire. La Haggadah n’en a pas. C’est un texte destiné au seul endoctrinement.

HISTOIRE

Ce n’en est pas. Bien qu’elle prétende dire l’histoire, la Haggadah n’a rien à voir avec l’histoire réelle.
Il ne peut plus subsister le moindre doute sur le fait que l’Exode n’a jamais eu lieu. Ni exode, ni traversée du désert, ni conquête de Canaan.

Les Egyptiens étaient des chroniqueurs invétérés. Des dizaines de milliers de tablettes ont déjà été déchiffrées. Il eut été impossible qu’un événement tel que l’exode se passe sans être chroniqué en détail. Pas si 600.000 personnes s’en allaient, comme le dit la Bible, ni même 60.000 ni même 6.000. En particulier si pendant la fuite tout un contingent de l’armée égyptienne, avec ses chars de guerre, s’était noyé.

Il en va de même pour la Conquête. En raison de leur souci aigu de la sécurité, après avoir été envahis une fois par ce côté-là, les Egyptiens employaient une armée d’espions - voyageurs, marchands et autres - afin de suivre de près les événements à proximité de Canaan, dans chacune de ses villes et à tout moment. Une invasion de Canaan même mineure, aurait été rapportée. Or à l’exception des incursions périodiques de tribus bédouines, rien n’a été rapporté.

En outre, les villes égyptiennes mentionnées dans la Bible n’existaient pas à l’époque où l’événement est censé être arrivé. Elles ont existé, mais quand la Bible fut écrite, au premier ou deuxième siècle avant JC.

Inutile de souligner qu’après une centaine d’années de fouilles archéologiques frénétiques par des Chrétiens bigots et des sionistes fanatiques, pas la moindre parcelle de preuve concrète n’a été trouvée pour la conquête de Canaan (ni pour l’existence même des royaumes de Saül, de David ou de Salomon).
Mais tout ceci a-t-il vraiment de l’importance ? Pas la moindre !

L’histoire de la Pâque ne tire pas son immense pouvoir d’une prétention à faire l’Histoire. C’est un mythe qui saisit l’imagination humaine, mythe qui est la base d’une grande religion, mythe qui dirige le comportement de gens jusqu’à ce jour encore. Sans l’histoire de l’Exode, il n’y aurait sans doute pas d’Etat d’Israël aujourd’hui - et certainement pas en Palestine.

LA GLOIRE

On peut lire l’histoire de l’exode comme un brillant exemple de tout ce qui est bon et mobilisateur dans les annales de l’humanité.

Voici l’histoire d’un petit peuple sans pouvoir qui se dresse contre une tyrannie brutale, brise ses chaînes et gagne une nouvelle patrie, créant ce cette manière un nouveau code moral révolutionnaire.

Vu sous cet angle, l’exode est la victoire de l’esprit humain une source d’inspiration pour tous les peuples opprimés. Et effectivement, il a servi ce but à plusieurs reprises dans le passé. Les Pères Pèlerins, fondateurs de l’Amérique moderne ont été inspirés par l’Exode, de même que bien des rebelles tout au long de l’histoire.

L’AUTRE FACE

Quand on lit attentivement le texte biblique, sans ?illères religieuses, certains aspects donnent du grain à moudre pour d’autres pensées.

Prenons les Dix Plaies d’Egypte. Pourquoi le peuple égyptien tout entier fut-il puni pour les méfaits d’un seul tyran, Pharaon ? Pourquoi Dieu, tel un Conseil de Sécurité divin, a-t-il levé contre lui de cruelles sanctions, polluant leurs eaux de sang, détruisant leurs moyens de subsistance par la grêle et les sauterelles ? Pire encore, comment un dieu miséricordieux peut-il envoyer ses anges pour tuer tous les enfants premiers-nés des Egyptiens ?

En quittant l’Egypte, les Israélites furent encouragés à voler la propriété de leurs voisins. Il est plutôt curieux que le narrateur biblique, qui était certainement profondément religieux, n’a pas omis ce détail. Et cela juste quelques semaines avant que les Dix Commandements ne soient remis aux israélites par Dieu en personne, avec notamment « Tu ne voleras point ».

Personne ne semble jamais avoir beaucoup réfléchi au côté éthique de la conquête de Canaan. Dieu avait promis aux Enfants d’Israël un pays qui était la patrie d’autres peuples. Il leur a enjoint de tuer ces peuples, leur commandant expressément de commettre un génocide. Pour l’une ou l’autre raison il distingua le peuple d’Amalek, ordonnant aux Israélites des tous les éradiquer en même temps. Plus tard, le glorieux roi Saül fut détrôné par son prophète parce qu’il avait fait preuve de miséricorde et n’avait pas assassiné ses prisonniers de guerre amalécites hommes, femmes et enfants.

Bien sûr, ces textes ont été écrits par des gens vivant en des temps reculés, où l’éthique des individus et des nations était différente, comme l’étaient les règles de la guerre. Mais la Hagaddah est récitée - de nos jours comme autrefois - sans aucun esprit critique, sans la moindre réflexion sur ces aspects horribles . Dans les écoles religieuses d’aujourd’hui en Israël, le commandement de commettre le génocide contre la population non-juive de Palestine est prise au sens quasi littéral par beaucoup de maîtres et d’élèves.

ENDOCTRINEMENT

C’est le point crucial de ces réflexions.

Il y a dans la Hagaddah deux phrases qui ont toujours eu - et ont encore toujours - un profond impact sur le présent.

L’une est l’idée centrale sur laquelle presque tous les juifs basent leur conception de l’Histoire : « A chaque génération ils se dressent contre nous pour nous détruire ».

Cela ne s’applique pas à une époque ni à un endroit spécifique. C’est considéré comme une vérité éternelle qui s’applique en tous temps et en tous lieux. « Eux », c’est l’ensemble du monde extérieur, tous les non-juifs de partout. Les enfant entendent cela le soir de Seder, assis sur les genoux de leur père, bien avant qu’ils ne soient capables de lire et d’écrire, et à partir de ce moment-là, ils l’entendent ou le récitent chaque année pendant des décennies. Cela exprime la conviction totalement consciente ou inconsciente de presque tous les juifs, que ce soit à Los Angeles en Californie, ou à Lod en Israël. Il est certain que cela dirige directement la politique de l’Etat d’Israël.

La seconde phrase, qui complète la première, est un cri adressé à Dieu : « Déverse ta colère sur les nations qui ne te connaissent pas ... car ils ont englouti Jacob et démantelé sa maison ... Déverse ta colère sur eux ! Que ta fureur ardente les frappe ! Poursuis-les sous les cieux du Seigneur ! ... »

Le mot « nations » a un double sens dans ce texte. Le mot hébreu est « goyim », terme ancien pour « peuples ». Même les anciens Enfants d’Israël étaient appelés « saints goyim ». Mais au fil des siècles, le mot a pris un autre sens et on le comprend comme se référant à tous les non-juifs, d’une manière très péjorative ( comme dans la chanson juive « Oy, Oy, Oy, / Ivre est le Goy ).
Pour comprendre convenablement ce texte il faut se rappeler qu’il a été écrit comme un cri du c ?ur des membres d’un peuple sans défense, persécutés, et qui n’avaient pas le moyen de se venger de leurs bourreaux. Pour élever leurs esprits le joyeux soir de Seder, il fallait qu’ils placent leur confiance en dieu, en lui criant de prendre revanche à leur place.

(Pendant le rituel de Seder, la porte reste toujours ouverte. Officiellement, c’est pour permettre au prophète Elie d’entrer au cas où il ressusciterait miraculeusement d’entre les morts. En réalité c’était pour permettre aux Goyim de regarder, afin de prouver la fausseté de la calomnie antisémite selon laquelle les juifs cuisent leur pain non levé avec le sang d’enfants chrétiens enlevés).

LA LEçON

Dans la diaspora, ce besoin maladif de revanche était à la fois compréhensible et sans effet. Mais la fondation de l’Etat d’Israël a complètement changé la situation. En Israël les juifs sont loin d’être sans défense. Nous n’avons pas besoin de nous reposer sur dieu pour nous venger des maux qui nous sont faits dans le passé ou dans le présent, réels ou imaginaires. Nous pouvons déverser notre colère nous-mêmes, sur nos voisins, les Palestiniens ou autres arabes, sur nos minorités, sur nos victimes.

Voilà le réel danger de la Haggadah, tel que je le vois. Ce texte a été écrit par et pour des juifs impuissants vivant dans un danger perpétuel. Il élevait leurs esprit une fois par an, alors qu’ils se sentaient en sécurité pour un moment, protégés par leur dieu, entourés de leur famille.

Sorti de ce contexte et appliqué à une situation nouvelle, complètement différente, il peut nous mettre sur une mauvaise pente. Nous persuader que chacun cherche à nous détruire, hier et encore plus certainement demain, nous considérons la rhétorique grandiloquente d’une grande gueule iranienne comme le preuve vivante de la validité de l’ancienne maxime. Ils sont prêts à nous tuer donc nous devons - conformément à une autre ancienne injonction juive - les tuer d’abord.

Alors, en ce soir de Seder, laissons guider nos sentiments par la part noble et mobilisatrice de la Haggadah, la partie sur les esclaves qui se sont levés contre la tyrannie et ont pris en main leur destin - et non la part qui veut nous faire déverser notre colère.

* Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.

Du même auteur :

- Biberman & Co - 7 avril 2009
- La loi israélienne la plus révoltante ? - 27 mars 2009
- "Pas vous ! Vous !!!" - 9 avril 2008
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- Sans frontières - 26 mars 2007
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6-8 avril 2012 - - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.counterpunch.org/2012/04...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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