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Déplacés dans leur propre pays

vendredi 30 mars 2007 - 06h:43

Alexandra Zavis - Los Angeles Times

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Si deux millions d’Irakiens ont fui leur pays, d’autres, presque aussi nombreux, ont dû changer de région ou de quartier.

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Réfugiés irakiens dans un camp de Bagdad

En cette époque de départs massifs [d’Irak], Fouad Khamis a pris une décision incroyable : il est rentré chez lui. “Quand je suis arrivé, j’étais à la fois accablé et effrayé”, confie ce chauffeur de taxi sunnite. Sa maison était endommagée et il ne lui restait plus un seul meuble. Mais ce père de cinq enfants raconte que ses voisins chiites l’ont accueilli avec de grandes embrassades. Rassuré par le plan de sécurité renforcée mis en place à Bagdad le 14 février et par les encouragements de ses voisins, Fouad est l’un des premiers Irakiens à tester la solidité de l’engagement du Premier ministre Nouri Maliki à mettre fin à la vague d’“épuration” religieuse qui est en train de balayer la capitale irakienne.

Pourtant la mise en ?uvre de ce plan se trouve menacée par le manque de confiance des habitants dans la capacité du gouvernement à sécuriser la ville. “Je crois aux miracles et aux contes de fées, mais pas à l’intention ou à la capacité du gouvernement d’amener les déplacés à rentrer chez eux”, commente Hussein Azadi, un musulman chiite au visage marqué par des années de misère.

Même si le gouvernement parvient à convaincre une partie des déplacés que la sécurité est désormais assurée dans leurs anciens quartiers, rien ne garantit qu’ils pourront réintégrer leurs foyers. De nombreuses maisons ont été pillées ou incendiées, d’autres réquisitionnées par des combattants ou occupées par des familles fuyant les violences d’autres quartiers. Le Premier ministre a fait preuve de fermeté, qualifiant de “terroristes” ceux qui s’étaient emparés de maisons par la force et annonçant au Parlement qu’ils seraient arrêtés. Mais l’armée américaine, qui doit affecter 17 500 hommes à la sécurisation de Bagdad, a fait savoir que ses forces n’aideraient pas le gouvernement à expulser les squatters, car, pour les autorités américaines, c’est le meilleur moyen de favoriser les dérapages.

Abdul Samad Sultan, ministre des Migrations et des Déplacements, pense que de nombreuses familles réintégreront d’elles-mêmes leurs lieux d’habitation d’origine une fois qu’elles auront compris que la sécurité est désormais assurée. En dehors de l’aide de 200 dollars [150 euros] qui leur sera versée pour financer leur déménagement, M. Sultan ne peut proposer grand-chose, si ce n’est qu’on leur distribue des badges d’accès aux zones contestées et qu’on demande à leurs anciens voisins de leur adresser des signes de bienvenue. Au dire du ministre, un millier de familles sont déjà revenues dans des quartiers comme Madaen, Shaab et Mahmoudiya, mais elles ne représentent qu’une faible partie du nombre total des déplacés. Selon un récent rapport de l’ONG International Medical Corps, quelque 540 000 Irakiens ont fui leurs foyers depuis le déchaînement de violences provoqué par l’attentat de février 2006 contre la mosquée de Samarra, haut lieu de l’islam chiite, et environ 80 % des déplacés sont originaires de la région de Bagdad.
Hussein Azaidi a passé la majeure partie de sa vie à Balad Ruz, une localité multiconfessionnelle située au nord-est de Bagdad.

Un après-midi, alors qu’il avait envoyé son fils au marché, des sunnites armés ont enlevé le garçon, l’ont battu jusqu’au sang et renvoyé chez lui avec ce message : “Si, dans trois jours, vous n’avez pas quitté les lieux, vous en subirez les conséquences.” Le matin suivant, Hussein Azaidi est parti avec toute sa famille pour Sadr City, le bastion du leader chiite radical Moqtada Al-Sadr. Des hommes du chef religieux lui ont fourni un logement et l’ont aidé à trouver de quoi manger. Mais les sunnites accusent le mouvement de Moqtada Al-Sadr de les chasser de Sadr City et de nombreux autres quartiers autrefois mixtes.

Chaque vague de déplacement en a appelé une autre, à mesure que les combattants de chaque religion forçaient les membres de l’autre à laisser la place à leurs coreligionnaires. Sabah Hassan, un agent de police sunnite du quartier mixte d’Amal, n’a pas tenu compte de l’avertissement - accompagné d’une balle - que l’on a glissé sous sa porte l’an dernier. Mais, quand deux de ses frères ont été enlevés, il a pris la fuite en laissant derrière lui ses meubles, ses papiers d’identité et les souvenirs d’une vie entière.

Dans certains quartiers, des familles ont demandé à leurs voisins de surveiller leurs maisons ou les ont louées à des membres de la religion majoritaire. Pendant des mois, alors que d’autres sunnites quittaient le quartier majoritairement chiite de Kadhimiya, effrayés par les lettres de menace, les hommes armés en maraude et les corps criblés de balles, Hussain Mansour avait tenu bon. Mais il y a un an, des hommes ont fait irruption dans la maison de son frère, et, sous les yeux de sa famille, lui ont tiré des balles en plein visage. Quand il est allé demander protection à la milice locale de l’armée de Mahdi, la plupart des hommes ont ri. “Ils se sont moqués de moi en me disant qu’ils allaient m’écorcher vif. Je n’ai jamais eu si peur”, se souvient-il. Finalement, un voisin chiite est venu lui proposer un marché. Il avait des parents qui vivaient dans un quartier sunnite de Bagdad et qui venaient de recevoir une lettre anonyme les sommant de partir. Pourquoi ne pas procéder à un échange ? Hussain n’a pas réfléchi à deux fois. Mais il a perdu au change : sa nouvelle maison est plus petite, les meubles sont vieux et le toit fuit. Ce n’est pas seulement sa maison qui lui manque. “Il y a aussi mes souvenirs, mon enfance, l’endroit où j’ai grandi, dit-il. Personne n’aime enterrer ses meilleurs souvenirs.”

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que, sur les 26 millions d’habitants recensés en Irak, 1,8 million ont été déplacés dans le pays et 2 millions se sont réfugiés dans des pays voisins. Pour l’ONU, c’est le plus grand exode qui se soit produit au Moyen-Orient depuis la création d’Israël en 1948.

Alexandra Zavis - Los Angeles Times, via Le Courrier International, le 29 mars 2007

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