16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

De la prison à l’exil

vendredi 30 décembre 2011 - 07h:58

Nour Samaha et Mohammad Alsaafin - Al Jazeera

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Après dix années passées dans les prisons israéliennes, le temps est venu pour que Talal Shreim puisse enfin jouir des retrouvailles avec sa famille. Nous l’avons rencontré chez lui à Doha, où nous l’avons trouvé le visage rayonnant, assis au milieu du salon de son nouveau domicile dans la capitale qatarie.

Il y a moins de 24 heures, ce fut également l’occasion pour Talal de pouvoir serrer dans ses bras sa fille Tasneem, âgée de 10 ans. Cette étreinte est la première depuis son incarcération, puisque, pendant des années, il n’a vu grandir sa fille qu’à travers une vitre lors des 45 minutes de visites sporadiques et arbitraires.

Pour rappel, deux mois plus tôt, 477 prisonniers palestiniens avaient été libérés des geôles israéliennes en vertu de l’accord d’échange des prisonniers, conclu entre le Hamas et Israël. Cet accord stipule l’échange d’un total de 1027 palestiniens contre un soldat israélien détenu à Gaza depuis 2006. Dimanche prochain (le 25 décembre), Israël devra libérer les 550 palestiniens restants et ce, dans le but de compléter l’accord.

Pour sa part, Shreim faisait partie des 40 prisonniers déportés des Territoires Occupés lors de la première phase de l’échange. En fait, la déportation était une condition posée par Israël et concerne ceux qu’il considère comme un danger pour sa sécurité. Shreim a été accusé d’appartenir à la branche politique du Hamas, et il fut condamné à 22 ans de prison.

Droits de visite

S’agissant du volet des visites, il faut souligner qu’en empêchant les familles de rendre visite à leurs proches détenus, Israël ne piétine pas seulement les droits humains fondamentaux, mais transgresse aussi les conventions internationales.

Dans ce contexte, le groupe des droits humains B’Tselem a communiqué en 2006 que « la politique arbitraire et démesurée d’Israël enfreint non seulement les droits des familles aux visite, mais qu’elle conduit également à la violation d’autres droits et principes inscrits dans les droits de l’homme et des lroits humanitaires internationaux, ainsi que dans le droit national israélien. »

D’autre part, l’organisation des droits de l’homme Addameer qui est mobilisée sur le sort des prisonniers palestiniens, cite que du fait du transfert des détenus des prisons situées dans les Territoires Occupés vers des prisons à l’intérieur d’Israël « Ce dernier s’adonne à la punition collective à l’encontre des familles Palestiniennes venues visiter leurs enfants dans ses prisons ».

L’organisation ajoute : « Suite à la fermeture interne et externe des Territoires Palestiniens Occupés, les familles palestiniennes doivent obtenir des autorisations afin de visiter leurs proches détenus à l’intérieur d’Israël. Or, ces mêmes autorisations peuvent à n’importe quel moment être annulées si des crises politiques éclatent. Il y a même ceux qui ne peuvent obtenir ces autorisations à cause des menaces sécuritaires ». 

En effet, Oum Motasim, l’épouse de Shreim, soutient les déclarations des groupes des droits de l’homme et explique à Al Jazeera : « L’absence de Talal m’a poussée à endosser une lourde responsabilité. Je devais élever les enfants, trouver l’argent pour qu’ils ne manquent de rien, et ainsi de suite. D’autre part, la visite de mon mari m’a été interdite par les autorités israéliennes en évoquant des raisons sécuritaires. A peine si je réussissais à le voir une ou deux fois par an, pas plus. »

Shreim explique que sur le principe les visites étaient autorisées tous les quinze jours. Cependant, la réalité est complètement différente. Il ajoute : « Mes filles étaient autorisés à me rendre visite toutes les deux semaines tant qu’elles avaient moins de 16 ans. Une fois cet âge dépassé, les choses commençaient à se compliquer. De même pour les épouses, pas seulement la mienne, qui souffraient le martyre rien que pour l’obtention des permis de visite. »

Ainsi, un trajet exténuant attend les familles qui rendent visite à leurs proches. Il leur arrive de passer jusqu’à 15 heures pour effectuer l’aller-retour de leurs domiciles en Cisjordanie, avec les checkpoints israéliens, les contrôle de sécurité, les fouilles et les retards.

C’est pourquoi, visiter les membres de la famille est devenu un mode de vie pour les filles. En effet, à un moment donné, il fallait choisir, chaque week-end, qui visiter, puisque le père et les trois frères étaient emprisonnés. « On devait visiter notre père une fois, puis nos frères. Autrement dit, il fallait choisir qui visiter. Des fois, on convenait de nous diviser pour qu’une partie aille voir les frères, et l’autre le père. Et avec tout cela, le trajet que nous devions effectuer était plein d’embûches et d’obstacles à cause des fouilles, des stops continus et des interrogatoires » raconte Duaa, la fille de Shreim âgée de 19 ans.

Interrogé sur les raisons de son arrestation, Mohamed, le fils de Shreim âgé de 25 ans, a répondu avec un haussement d’épaules résigné : « J’ai été accusé d’appartenir au mouvement du Hamas. Ils ont dit cela parce que mon père était membre. Nous avons toujours su qu’on nous arrêterait pour ce motif et pour nos croyances religieuses ».

Quant à Duaa, elle revient sur leur vie alors que les hommes de la maison sont loin. Elle raconte : « L’une des conséquences les plus sévères est que nous [les filles] n’avions d’autre choix que de voler de nos propres ailes. Le plus dur de la période de détention de mon père reste sans doute la responsabilité tombée sur le dos de notre mère qui était seule à devoir subvenir à nos besoins et à prendre soin de nous. Et c’est parce que nous étions seules à la maison (même mes frères étaient en prison), nous devions nous débrouiller pour payer nos factures et pour payer l’école. En tant que filles, c’était très pénible à supporter car nous n’avions personne sur qui compter ni un support pour nous protéger ou nous soutenir. C’était l’isolement. »

« Ces chiens m’ont terrifiée »

Oum Talal, la mère de Shreim, une femme menue et frêle livre son témoignage à Al Jazeera et revient sur un incident particulièrement terrorisant auquel elle a dû faire face lors d’une visite à son fils.

En s’approchant de la prison, dit-elle, un agent de la prison a interpellé la vieille dame en lui ordonnant d’entrer dans une salle. Épouvantée, elle obéit, tenant nerveusement son chapelet entre ses doigts.

« Ces chiens m’ont terrifiée » dit-elle au sujet des israéliens, en ajoutant que la peur des visites de prisons lui avait toujours causé des insomnies.

Elle se souvient donc de ce jour où elle a été laissée très longtemps seule dans la salle. Des heures passaient et personne n’est venu lui parler, sans doute étaient-ils tous partis. Elle a commencé à crier et à hurler. Finalement, une gardienne de prison est venue la voir à travers la fenêtre pour la conduire dans une autre pièce. On lui a demandé si elle avait une bombe, en l’obligeant d’enlever tous ses vêtements.

L’officier de prison a ensuite demandé à Oum Talal de se rhabiller pour la laisser partir. Malgré cela, elle ajoute qu’elle a été fouillés de nouveau à l’entrée de la prison. « Je ne suis pas prête d’oublier ce jour où j’ai eu très peur, mais je n’avais pas baissé les bras et j’ai continuer mes visites en prison ».

Informé du calvaire qu’a vécu sa mère, Talal Shreim est devenu fou furieux. Il en a fait part aux autres prisonniers qui, à leur tour, ont exprimé leur colère. En conséquence, il a été accusé d’avoir provoqué des troubles et a été placé en isolement pendant six ans. Il s’agit d’une pièce qui mesure trois mètres sur 1n5 mètre, partagée avec un autre prisonnier. Ce type de confinement consiste également à l’interdiction, durant les exercices quotidiens, la moindre interaction avec les prisonniers sauf ceux en isolement.

Autrement dit, l’isolement tel que son nom l’indique, est mis en place pour que ces prisonniers particuliers soient coupés du reste de la population détenue. De ce fait, toute la journée et chaque jour, Shreim ne côtoyait que son compagnon de cellule. « Dans l’isolement, à peine est-il possible d’être debout, mais aucune chance de pouvoir voir les enfants » ajoute-t-il, « et tout cela parce que je me suis révolté contre la façon avec laquelle ont a traité ma vieille maman. »

Une vie en cavale

Avant son arrestation, Shreim était souvent obligé de se terrer. Entre 1988 et 2001, il ne pouvait pas vivre plus de huit mois libre sans qu’il ne soit arrêté de nouveau. Même libéré, il était contraint de « vivre en cavale ». A ce titre, sa famille reconnaît qu’entre les deux séparations, la moins difficile était sans doute la période qu’il passait en prison.

Sa mère affirme : « Quand il était en fuite, les israéliens venaient chez nous tout le temps. Ils entraient à la maison qu’ils laissaient sans dessus-dessous, cassaient tout et regroupaient tous les habitants de l’immeuble. C’était très effrayant ». C’est pourquoi, elle réitère : « Nous préférions qu’il soit en prison, plutôt qu’en fuite »

Et quand il était en fuite, ce sont ses enfants qui ont dû prendre la relève et prendre en main le rôle et les devoirs de leur père. Ainsi, Mohamed explique que lorsque son père était absent, les frères étaient devenus les hommes de la maison, un rôle bien trop dur à jouer. « Des fois, des choses se produisent à la maison, automatiquement, en tant que son fils, je songe à aller lui dire ce qui est arrivé, mais ça restait une tâche impossible ». Il n’y avait aucun moyen pour rester en contact avec le père.

Et la raison est très simple. Ignorer où le père se cache signifie sa sécurité car si ses proches savent où il se trouve, le risque d’aveux sous la torture augmente.

Cette confidentialité porte souvent ses fruits. Selon Mohamed, quand l’armée israélienne attaque leur maison, elle essayera sans doute de tirer quelques informations de ses occupants. « Et comme nous ignorons tout sur son lieu de cachette, nous ne pourrons leur être utiles. Même quand nous étions plus jeunes et terrorisés et qu’on voyait qu’ils allaient nous tabasser, nous ne pouvions rien dire car nous ignorions sa trace. Il faut dire qu’en étant jeunes, nous risquions de laisser échapper, sans le savoir, n’importe quelle information qui serait utile pour eux. »

Et pour finir, Shreim résume la réalité palestinienne et précise que les rudes épreuves vécues, lui et sa famille, ne sont pas un fait peu commun dans les Territoires Occupés. La vie des Shreim est juste un microcosme d’une souffrance qui a, depuis très longtemps, élu domicile chez la population palestinienne toute entière. »

Le 19 décembre 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...Traduction : Info-Palestine.net Niha


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.