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La Turquie et l’abîme syrien

jeudi 1er décembre 2011 - 05h:59

Ramzy Baroud - The Palestine Chronicle

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Lorsque Recep Tayyip Erdogan est devenu le Premier ministre de la Turquie en 2003, il semblait être certain de la nouvelle orientation que prendrait son pays. Elle permettrait de maintenir des liens cordiaux avec les vieux amis de la Turquie, dont Israël, mais aussi de tendre la main à ses voisins arabes et musulmans et à la Syrie en particulier.

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Fini le temps où Recep Tayyip Erdogan considérait Bachar al-Assad comme un ami proche...

Les relations amicales entre Ankara et Damas ont rapidement évolué depuis l’emphase rhétorique sur les liens culturels jusqu’aux accords commerciaux et aux échanges économiques portant sur des milliards de dollars. La vision d’un « zéro problème » en politique étrangère qui était celle du ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu, semblait être un exploit réellement à portée de main, même dans une région marquée par les conflits, les occupations étrangères et le « grand jeu » des rivalités.

Le raid israélien sur le bateau humanitaire turc - le Mavi Marmara - dans les eaux internationales le 31 mai 2010, n’a pas suffi à saper cette vision. La réponse officielle turque à la violente attaque par Israël - qui a assassiné neuf citoyens turcs - a été de l’ordre des grandes colères, mais elle ne paraissait au niveau de ce que la Turquie a considéré comme un acte de piraterie commis par l’Etat israélien en Méditerranée.

Mais la révolte syrienne qui a explosé en mars dernier, la sévère répression du gouvernement à l’égard de la dissidence et la militarisation croissante de l’opposition - tout cela poussant le pays sur la voie d’une véritable guerre civile - a obligé la Turquie à faire le deuil de son « zéro problème » en politique étrangère .

Alors que la Turquie manifestait clairement sa contrariété face aux répressions sanglantes contre les mouvements de protestation réclamant la liberté et des réformes politiques, son attitude de plus en plus conflictuelle envers Damas n’était pas tout à fait altruiste. Prenant en compte le caractère exceptionnel de la situation dans le monde arabe, la Turquie a dû faire des choix difficiles.

Le soutien initialement réservé de la Turquie à une intervention militaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord [OTAN] contre la Libye a été un test décisif. Il s’est avéré que l’appartenance de la Turquie à cette organisation, et sa position régionale ont été plus importantes que n’importe quelle vision de politique étrangère.

« La même ironie renversante était visible dans les relations de la Turquie avec [le dirigeant assassiné Mouammar] Kadhafi en Libye. Une fois ces régimes tombés ... le ’zéro problème’ risquait de ressembler à un mauvais pari », écrit Steven Cook dans Atlantic, le 18 novembre.

L’autre « ironie renversante » est l’attitude hostile de la Turquie envers la Syrie du président Bachar al-Assad, un moment considéré par Erdogan comme un ami personnel. En fait, le rôle de premier plan actuellement joué par Ankara pour isoler et sanctionner Assad a l’allure « d’un dénouement officiel de l’investissement d’Erdogan et Davutoglu dans Bachar al-Assad », et par conséquent la « fin de ce qui a été présenté comme une diplomatie innovante pour la Turquie », selon Cook.

Malgré la pression sur Ankara pour que la Turquie accentue sa prise de distance de la Syrie, et les fines insinuations selon lesquelles les dirigeants turcs bougent trop lentement sur ​​ce front, le seul langage est révélateur d’un virage complet en politique étrangère.

Dans une déclaration datée du 15 novembre, Erdogan a suggéré que l’on ne pouvait pas faire confiance à Assad. « Personne ne s’attend plus à ce que [le président syrien] réponde aux attentes du peuple et de la communauté internationale ... Notre souhait est que le régime d’Assad, qui est maintenant sur le fil du rasoir, n’entre pas dans cette voie de non-retour , qui conduit au bord de l’abîme. »

Ce langage apocalyptique peut être justifiée si l’on prend en compte une guerre civile presque inévitable en Syrie, et l’instabilité qu’une telle guerre pourrait créer à une frontière turque déjà instable au sud.

De plus, avec des acteurs régionaux et internationaux déjà en lice pour une possible exploitation des malheurs internes de la Syrie, les propres problèmes internes de la Turquie pourraient bientôt être exploitées au profit de forces extérieures. Ainsi, la nouvelle politique étrangère turque semble être centrée sur la garantie d’une position de leadership pour Ankara dans n’importe quel futur scénario pour la Syrie. C’est un changement remarquable - d’une approche moraliste à la politique, puis à une brutale realpolitik, qui peut exiger de sacrifier les autres pour son propre bénéfice.

Le réalisme politique est souvent truffé de paradoxes. Alors que la Turquie avait autrefois menacé de faire la guerre à la Syrie aà moins qu’lle n’expulse Abdullah Öcalan du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), elle « appuie maintenant un individu, Riad al-Assad, dont l’Armée Libre Syrienne fait exactement la même chose à travers la frontière syrienne », selon l’ écrivain Jeremy Salt qui vit à Ankara. En outre, « pour affronter la Syrie ... La Turquie s’est mise en désaccord avec l’allié de la Syrie, l’Iran, dont la coopération lui est nécessaire pour s’occuper du PKK. »

En affirmant une position de leadership dans l’effort continu visant à renverser le gouvernement syrien, la Turquie espère conjurer les répercussions non souhaitables qui suivront l’effondrement de la Syrie - et espère donc contrôler l’issue de cette aventure. Cela explique pourquoi la plus grande ville de Turquie, Istanbul, a servi d’hôte pour le Conseil National Syrien, et pourquoi l’Armée Libre Syrienne, qui a lancé plusieurs attaques meurtrières sur les installations de des services de sécurité syriens, trouver un refuge sûr dans les territoires turcs.

Politiquement parlant, la Turquie joue aussi un rôle de premier plan. Le Ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, après une rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé, a appelé à une pression internationale plus forte contre Damas. « S’ils n’écoutent pas, nous devons alors augmenter la pression pour arrêter le bain de sang en Syrie », a-t-il dit. « Mais cette pression ne doit pas être une pression unilatérale. Tous les pays concernés devraient agir de concert. »

Ce que Davutoglu entend par « agir ensemble », et quel sont les pays « concernés » reste ouvert à la spéculation.

Mohammad Riad Shaqfa, le chef du mouvement des Frères Musulmans interdit en Syrie, a offert sa propre feuille de route lors d’une conférence de presse à Istanbul. « Si la communauté internationale tergiverse alors il sera plus exigé de la Turquie en tant que voisin pour s’impliquer plus sérieusement que d’autres pays pour abattre ce régime », a déclaré Shaqfa. « Si d’autres interventions sont nécessaires, comme une protection par les airs en raison de l’intransigeance du régime, alors le peuple acceptera l’intervention turque. »

Un plan détaillé de cette intervention envisagée a été publié dans le journal turc Sabah, le jour même des commentaires faits par Shaqfa. Selon le journal Sabah, un plan d’intervention a été mis en avant par les « forces d’opposition ». Ses détails comprennent un nombre limité de zones interdites aux vols qui seront progressivement élargies de façon à inclure des principales provinces syriennes, et également un blocus de la ville d’Alep dans le nord.

Considérant l’escalade de la violence en Syrie, et le manque évident de bonnes intentions de tous les « pays concernés », la Syrie est au bord de l’abîme d’une longue guerre civile, de divisions sanglantes sans précédent.

« En tant que négociateur et intermédiaire entre le gouvernement syrien et l’opposition interne, la Turquie a un rôle à jouer », écrit Jeremy Salt, « mais provoquer la Syrie le long de sa frontière, sermonner Bachar al-Assad comme s’il était un gouverneur provincial récalcitrant à l’époque de la domination ottomane et accorder son soutien à ceux qui tuent les citoyens syriens n’est pas la voie à suivre. »

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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22 novembre 2011 - Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Nazem


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