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« Je voudrais que mon papa soit ici pour célébrer l’Aïd avec moi »

jeudi 10 novembre 2011 - 10h:54

Shahd Abusalama

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Le jour qui précède le début de l’Aïd Al-Adha est le jour de Arafa. Il est dit que le croyant qui jeûne en ce jour expie les péchés de l’année écoulée et les péchés de l’année à venir.

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Photo : Shahd Abusalama

Comme ce jour est considéré comme un jour de pardon des péchés, de nombreux Palestiniens ont passé la journée d’hier à jeûner. Malgré le jeûne, j’ai accepté avec enthousiasme l’offre de mon amie, une militante de la solidarité venue de Hollande, de nous promener dans le camp de Jabalia. Environ 108 000 réfugiés enregistrés vivent dans ce camp, qui couvre une superficie d’à peine 1,4 kilomètre carré.

J’ai traversé le marché de Jabalia, où il y avait tellement de monde que l’on devait continuellement se frayer un chemin. A chaque pas je pouvais apercevoir de nombreux visages de différents âges, hommes ou femmes, garçons ou filles, et de toutes sortes de physionomies. Je pouvais voir les enfants aller d’une boutique de vêtements à l’autre, ravis de choisir leurs nouvelles tenues. En même temps, d’autres enfants profitaient de l’occasion de cette foule exceptionnellement dense. Ils portaient de lourdes caisses contenant de petits objets, essayant de gagner de l’argent afin qu’ils puissent aider leurs familles, si nécessiteuses, à profiter en quelque sorte de l’atmosphère heureuse au moins en achetant des bonbons.

Je pouvais voir aussi des visages très contrariés à cause de la hausse des prix des produits, qui résulte de l’état de siège imposé illégalement [par les forces israéliennes d’occupation] depuis 2007. Les parents passaient des heures à faire le tour de chaque boutique, à la recherche des vêtements les moins chers à acheter pour leurs enfants. Ceux-ci imaginaient encore avec innocence que l’Aïd, c’est avoir des vêtements neufs.

Hier, j’ai pu me rendre compte à nouveau combien les habitants du camp de Jabaliya, principalement des réfugiés, sont confrontés à de grandes difficultés à cause de leurs faibles revenus, des pénuries de marchandises et des prix élevés pour celles qui sont disponibles. Ils veulent désespérément se sentir heureux, même si c’est toujours avec un manque important : le sentiment de liberté, de sécurité et d’indépendance.

Aujourd’hui, Gaza a célébré l’Aïd Al-Adha. Des hymnes ont été joués alors que soleil se levait. Je pouvais entendre les enfants et les hommes se rassembler autour d’un micro dans la mosquée située juste derrière notre maison, chantant sans discontinuer, avec joie et d’une seule voix, « Allahu Akbar, Allahu Akbar ... » Je n’ai pas pu m’empêcher de me lever plus tôt que je ne le fais d’habitude, et avec plus d’énergie que jamais, trop intéressée par ce qui allait suivre.

Ma mère m’a dit que l’on avait sans arrêt frappé à la porte depuis tôt ce matin, les gens venant nous saluer à l’occasion de l’Aïd. Certains d’entre eux pouvaient se permettre d’acheter de la viande d’animaux sacrifiés, Uḍhiyyah, et portaient une tranche de viande.

L’Aïd est une fête religieuse très spéciale, car elle rapproche les gens les uns des autres. Elle renforce la vie sociale et rappelle aux riches ceux qui sont dans le besoin. En Palestine, l’Aïd dépasse son cadre conventionnel. C’est un festival de la tolérance, du pardon, de la compassion, et les pensées vont vers les absents qui sont soit en prison, soit exilés, soit décédés. Mon père et ses frères, par exemple, rendent visite dans notre quartier aux familles des martyrs et des prisonniers.

Le deuxième jour de l’Aïd, il y aura à la Croix-Rouge une manifestation de solidarité avec nos prisonniers pour leur faire savoir que nos pensées font qu’ils vivent parmi nous et qu’ils ne seront jamais oubliés. Nos pensées iront aussi vers les mères qui ont attendu de longues années, en espérant la liberté pour leurs fils, et qui sont décédées avant de pouvoir célébrer leur libération.

Demain sera une journée de soutien pour nos héros derrière les impitoyables barreaux israéliens, pour les encourager à rester ferme. Ce sera aussi un jour de compassion pour les gens des familles - qui ont vécu plusieurs fêtes importantes avec un de leurs êtres cher qui manquait, ou dans certains cas plusieurs, faisant que leur bonheur était incomplet - pour les aider à rester forts et confiants.

Je me sens bénie d’avoir tous les gens que j’aime autour de moi. Dans le même temps, j’ai l’impression de ne pas pouvoir profiter pleinement de ce bonheur car des milliers de personnes dans toute la Palestine n’ont pas cette bénédiction.

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Jazar Gomana
Photo : Shahd Abusalama

Aujourd’hui, j’ai pensé constamment pensé à Gomana Abu Jazar. Gomana est une fillette de dix ans dont la mère est décédée après sa naissance et dont le père a été emprisonné alors qu’elle n’avait pas deux ans, n’ayant plus que son oncle pour s’occuper d’elle. Une fois, alors qu’elle demandait pourquoi tous les enfants ont un papa mais pas elle, son oncle lui a répondu : « Je vais être le remplaçant de ton papa jusqu’à ce qu’il soit libre. Tu as de la chance, puisque tu as deux pères au lieu d’un seul. » Alors, elle a commencé à appeler son oncle « papa » pendant toute une année, jusqu’à ce qu’il soit tué par les Forces d’Occupation Israéliennes, la laissant totalement seule. Alors qu’elle revenait un jour de l’école, elle a vu un enterrement énorme en face de sa maison et elle demanda : « Qui est enterré ? » Les enfants de ses voisins ont alors répondu : « C’est ton oncle ». Elle a commencé à protester, à refuser ce qu’elle voyait en disant : « C’est impossible ! Il m’a accompagné à l’école ce matin. »
Aujourd’hui elle vit avec sa grand-mère qui a 70 ans.

J’ai appelé Gomana pour la saluer à l’occasion de l’Aïd. Après une longue conversation, je lui ai demandé : « Quel est ton souhait pour cette fête ? » « Je souhaite que papa soit ici », répondit-elle d’une voix triste. « Je souhaite qu’on me permette de le voir au moins une fois dans notre vie. Je ne connais papa que par ses photos. Je voudrais pouvoir le voir en vrai. Une fois j’ai pensé que ce rêve était très proche de se réaliser, mais ensuite j’ai appris que j’étais interdite de le voir, pour des raisons de sécurité. »

Comment les Palestiniens pourraient-ils se sentir pleinement heureux alors que ces histoires déchirantes sont si communes dans leur vie quotidienne ? J’espère que l’année prochaine le bonheur de l’Aïd, comme à d’autres occasions, sera sans mélange, avec des prisons israéliennes vides et une Palestine libre et indépendante
Incha Allah.

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Shahd Abusalama

* Shahd Abusalam est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza.
« Mes dessins ainsi que mes articles sont ma façon de transmettre un message, et le plus important pour moi est d’élever la conscience de la communauté internationale au sujet de la cause palestinienne. Je suis très intéressée à saisir les émotions des gens, les images de ma patrie, la force de mon peuple, de sa détermination, de sa lutte et de sa souffrance. »

Son blog est intitulé Palestine from my eyes.

De la même auteure :

- Najiyya ne retrouvera pas son époux - 22 octobre 2011
- L’histoire d’une mère : Om Fares - 19 octobre 2011
- « J’avais un jour quand mon père a été emprisonné » - 17 octobre 2011

6 novembre 2011 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinefrommyeyes.blogspot.com/
Traduction : Claude


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