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Le prochain combat de la Libye : contrecarrer les desseins occidentaux

mardi 6 septembre 2011 - 06h:19

Ramzy Baroud

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Lors d’une conférence de presse à Tripoli le 26 août, un communiqué lu à haute voix par le commandant rebelle Abdel Hakim Belhadj se voulait rassurant. Il y a à peine quelques mois, les combattants rebelles, désorganisés et sans chef, semblaient avoir peu de chance d’évincer le dictateur libyen Mouammar et ses fils.

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Les raisons de l’intervention de l’OTAN n’ont rien à voir avec un quelconque but philanthropique, mais uniquement avec les intérêts des trusts pétroliers et gaziers (liste non exhaustive) et celui des multinationales qui font leur beurre sur la violence et l’insécurité généralisées au niveau de pays entiers

Mais en dépit de vagues références à des « poches de résistance » à travers de Tripoli, et de plus réels combats ailleurs, le Conseil national de transition (CNT) libyen se prépare à devenir l’organe en charge des affaires libyennnes. Dans sa conférence, Belhadj a prétendu avoir le plein contrôle de Tripoli et avoir unifié tous les groupes combattant rebelles sous le commandement du conseil militaire.

En écoutant les déclarations optimistes faites par les commandants militaires rebelles et les évaluations tout aussi optimistes des membres du CNT, on a l’impression que l’avenir de la Libye est entièrement décidé par la nouvelle direction libyenne. Les médias arabes, à al remorque d’Al-Jazeera, semblent parfois totalement négliger le fait qu’il y ait une tierce partie - la plus puissante - impliquée dans la bataille entre la volonté de liberté des Libyens et le dictateur qui s’obstine : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord [OTAN], dont l’intervention militaire financièrement coûteuse n’avait rien à voir avec de la charité ni avec un acte guidé par la morale. C’est une entreprise politiquement et stratégiquement calculée, avec des objectifs à multiples facettes qui ne peuvent pas être totalement examinés en un seul article.

Il faut cependant suivre les intenses discussions transparaissant dans les médias occidentaux pour réaliser la nature, et les véritables intentions et attentes de l’OTAN, ainsi que les sombres perspectives qui guettent la Libye si ses nouveaux dirigeants ne se retirent pas rapidement de cette dangereuse alliance avec l’OTAN.

Alors que les Libyens se sont battus contre un pouvoir brutal, guidés par un espoir lointain à la fois de liberté, de démocratie et de libération de l’emprise d’un dictateur clownesque et délirant, les calculs de l’OTAN n’étaient rien de moins qu’un programme pour tout s’accaparer.

Dans son livre récemment publié et tout à fait brillant, Postmodern Imperialism : Geopolitics and the Great Game, Eric Walberg décrit avec justesse les objectifs de l’OTAN après la fin de la Guerre froide. L’OTAN « est devenu la pièce maîtresse de la présence militaire de l’empire [étasunien] à travers le monde, se déplaçant rapidement pour répondre aux besoins d’intervention des Etats-Unis là où l’ONU ne le fera pas, comme en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et maintenant en Libye. »

L’expansion massive de l’OTAN dans les deux dernières décennies par l’insertion de nouveaux membres, par l’intégration dans de nouveaux « partenariats pour la paix », et par divers « dialogues » avec des entités hors de sa sphère géographique immédiate, obligent à une réinvention constante de l’OTAN et à une redéfinition de son rôle dans le monde entier. « La victoire de l’OTAN » en Libye - « un changement de régime imposé depuis les airs » comme cela a été décrit par certains - va forcément réactiver les idées néoconservatrices et semi-dormantes de changement des régime imposés quel qu’en soit le prix.

En effet, il n’a pas fallu longtemps pour que l’intervention de l’OTAN en Libye ne devienne une doctrine politico-militaire s’auto-justifiant. Le président américain Barack Obama, et d’autres dirigeants occidentaux, donnent déjà des indications sur la nature de cette doctrine. Dans une déclaration publiée le 22 août à partir Martha’s Vineyard [île de la côte Est des Etats-Unis], où il était en vacances, le président américain Obama a déclaré : « L’OTAN a une fois de plus prouvé qu’elle est l’alliance la plus capable dans le monde, et que sa force vient à la fois de sa puissance de feu et de la puissance de nos idéaux démocratiques. »

Il est difficile de souligner avec certitude en quoi cette mentalité gung-ho [expression usuelle tirée du vocabulaire militaire, du style ’allons-y tous ensemble’ et ayant servi à titrer un film de guerre - NdT] couplée avec la rhétorique de la démocratie est vraiment différente de la justification avancée par l’ex-président George W. Bush pour l’invasion américaine de l’Afghanistan puis de l’Irak.

De nombreux commentateurs aux Etats-Unis et dans d’autres pays de l’OTAN en sont déjà à traiter la Libye comme une nouvelle conquête militaire, semblable à celles de l’Afghanistan et de l’Irak, une prétention que les Libyens trouveront des plus répréhensibles. Mais de telles idées ne sont pas forgées au hasard, puisque le vocabulaire utilisé par les dirigeants de l’OTAN et leur gestion de l’ère post-Kadhafi en Libye semblent largement similaires avec la façon dont ils procèdent dans les autres pays musulmans déjà envahis.

Dans une déclaration écrite largement reprise dans les médias, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a commencé à fixer les critères à travers lesquels la « nouvelle Libye sera jugée devant la communauté internationale (c’est-à-dire les Etats-Unis, l’OTAN et leurs alliés.)

« Nous comptons sur eux [le CNT] pour s’assurer que la Libye s’acquitte de ses responsabilités découlant des traités, qu’elle s’assure que ses stocks d’armes ne menacent pas ses voisins ou tombent en de mauvaises mains, et qu’elle prenne une position ferme contre l’extrémisme violent. »

Pire encore, la carte d’Al-Qaïda avait déjà été intégrée dans le nouveau jeu de l’OTAN. L’importance de cette carte sera déterminée en fonction de l’attitude politique de la nouvelle direction libyenne.

L’insinuation de l’implication d’Al-Qaïda dans le soulèvement libyen n’est pas quelque chose de nouveau, bien évidemment. Et cela remonte au mois de mars dernier lorsque « l’amiral américain James Stavridis, du haut commandement de l’OTAN, avait dit avoir vu ’des indices’ d’une présence d’al-Qaïda parmi les rebelles », d’après cette citation parue dans Daily Telegraph britannique daté 26 août.

A présent, l’Algérie, un allié américain dans la soi-disant guerre contre le terrorisme, brandit cette carte pour justifier son refus de reconnaître le CNT.

L’injection d’une « lutte contre l’extrémisme » comme condition parmi d’autres pour conserver le soutien des Etats-Unis et de l’OTAN, et l’impossibilité d’accéder à des dizaines de milliards de dollars dans des comptes bancaires en Occident, pourraient s’avérer être les plus grands défis pour les nouveaux dirigeants libyens, bien plus dangereux que les messages audio d’un Kadhafi ou quoi que ce soit d’autre.

L’OTAN comprend bien qu’un « échec » dans son nouveau projet en Libye pourrait gâcher toute une série d’intérêts dans le monde arabe et pourrait entraver l’utilisation future du mélange de puissance de feu et d’idéaux démocratiques défendu par Obama. Des commentateurs de premier plan s’activent maintenant à tirer des parallèles entre la Libye et d’autres aventures de l’OTAN.

John F. Burns, écrivant dans le New York Times daté du 22 août, a discuté certaines des étranges et curieuses similitudes qui sont visibles entre l’ère post-Kadhafi Libye et l’ère post-Saddam en Irak, dans un article intitulé : « Les parallèles entre Kadhafi et [Saddam] Hussein donnent des inquiétudes aux dirigeants occidentaux, ». Et Burns d’écrire : « La liste (des parallèles entre les deux situations) résonnait comme un recueil de règles construites sur la base des erreurs commises au c ?ur de l’expérience américaine en Irak. » L’analyse faite par Burns est typique de la logique de tout un nouveau discours tenu par les médias et qui prend de l’ampleur de jour en jour.

mais si l’on revient aux médias arabes, on se trouve face à un discours presque totalement différent, qui se réfère à l’OTAN comme « à un ami », à qui le peuple libyen est « reconnaissant » et « redevable ». Certaines chaînes de télévision pan-arabe ont été plus instrumentalisées que d’autres dans la divulgation de cette logique tordue qui pourrait en définitive augurer de terribles conséquences pour la Syrie, et éventuellement faire du printemps arabe un hiver infini.

La Libye, qui a su s’attirer les sympathies du monde, est capable de contrecarrer les stratagèmes de l’OTAN, à la condition qu’elle prenne conscience des véritables intentions de l’OTAN en Libye et de sa tentative désespérée de déjouer ou de détourner les révolutions dans le monde arabe.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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29 août 2011 - Transmis par l’auteur
Traduction : Claude Zurbach


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