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Maux palestiniens sur un air de rap

vendredi 16 mars 2007 - 09h:11

Patrick Saint-Paul - Le Figaro

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Le rap a trouvé une nouvelle voix dans les camps de réfugiés de Gaza et de Cisjordanie. Le groupe PR - Palestinian Rappers - chante les frustrations de la jeunesse provoquées par l’hostilité israélienne et l’enfermement dans la bande de Gaza.

Les murs gris des ruelles du camp de réfugiés de Khan Younès sont maculés d’images de l’intifada. Les fresques montrent les visages des « martyrs » palestiniens et des gamins qui jettent des pierres sur les chars israéliens. Loin de ses racines dans les ghettos noirs de New York ou de Los Angeles, le rap a trouvé ici une nouvelle voix. DR - Dynamic Rapper -, alias Mohammed al-Farah, chef du groupe Palestinian Rappers, n’a jamais lancé la moindre pierre, ni touché un kalachnikov. Il affirme avoir trouvé une arme plus efficace : le rap, qu’il utilise pour débiter les maux de la révolte palestinienne au rythme d’une mitrailleuse.

Fidèles à l’iconographie de l’intifada, les rappeurs palestiniens ont baptisé leur musique le « slingshot rap », le rap lance-pierres.

« Le rap est né de la révolte contre le racisme envers les noirs aux États-Unis dans les années 1970, explique DR. Notre musique est une révolte contre l’occupation israélienne. Certains lancent des pierres, d’autres utilisent des armes. Mais la violence n’apporte rien de bon. J’utilise le rap comme un flingue, pour expliquer nos souffrances à l’Occident et, en particulier, aux États-Unis avec un langage qui leur est familier. J’espère leur faire comprendre que nous ne sommes pas des terroristes. »

Enfermé chez lui à Khan Younès, l’un des fiefs militants de l’intifada, après avoir été blessé par une balle israélienne en 2001, lors d’une manifestation contre Tsahal, DR a découvert le rap en regardant des clips sur les chaînes musicales américaines. Il y découvre un nouveau moyen d’exprimer sa rage. Son groupe enregistre le premier morceau en 2003. DR estime que les souffrances des Palestiniens sont une source inépuisable d’inspiration pour son rap militant.

« Souviens-toi, ou as-tu oublié, que c’est ton armée qui nous a agressés. Ma voix continuera de rugir, pour que tu ne puisses jamais l’oublier. Tu m’appelles terroriste, quand c’est toi qui nous a agressés », chante-t-il.

Loin des mélodies chaloupées et des paroles mielleuses des tubes de la musique moyen-orientale moderne, son rap est ponctué de sons de rafales d’armes automatiques et d’explosions, qui font partie du quotidien des Gaziotes. Âgé de 23 ans, al-Farah a eu l’occasion de voyager à l’étranger une seule fois, répondant à une invitation pour un concert de rap en Irlande du Nord. « Lorsque nous voulons aller en Cisjordanie ou à l’étranger, les Israéliens nous l’interdisent la plupart du temps, raconte-t-il. Nous sommes enfermés ici, nous voyons nos amis mourir, nos maisons rasées. Notre seule échappatoire, c’est la musique. »

DR effectue des voyages virtuels sur Internet, où il rencontre des artistes venus des quatre coins du monde. Certains d’entre eux participent à ses morceaux en enregistrant des paroles ou des sons qu’il intègre ensuite dans ses chansons. Mais il n’a jamais travaillé avec ses voisins rappeurs israéliens. « Pourquoi pas ? Mais à condition de rapper pour la paix. Je ne crois pas que les rappeurs israéliens soient prêts », tranche-t-il. Difficile, surtout, de s’afficher avec des musiciens israéliens lorsque l’on habite un fief militant de Gaza.

Faire du rap à Gaza est déjà suffisamment compliqué. Vêtus de casquettes de base-ball, de jeans bouffants et de chaussures de basket, DR et les autres membres de son groupe ont eu du mal à se défaire de leur image de musiciens proaméricains. Pourtant, ils ne portent pas de chaînes en or et ne s’affichent pas, non plus, avec des groupies pulpeuses au volant de voitures de sport, comme leurs modèles américains : impensable dans cette société ultraconservatrice, très à cheval sur les principes religieux. « Pour les voitures de sport, c’est aussi le manque d’argent ! plaisante DR. Faute de trouver des producteurs, nous sommes obligés de financer nos enregistrements, et il y a beaucoup de piratage à Gaza. »

Les Palestinian Rappers s’efforcent d’adopter une attitude politiquement correcte, version Gaza. « En tant qu’Arabes, nous sommes liés par une certaine tradition, concède al-Farah. Je ne peux pas me promener avec des filles ou des traînées agrippées autour du cou comme les rappeurs américains. Ce n’est pas mon truc. Avec les filles de Gaza, on peut seulement regarder. Si on essaie de leur parler ou de les approcher, ça peut devenir dangereux. »

Même chose avec la drogue et l’alcool, omniprésents dans le gangsta rap américain. « On ne fume que du narguilé, assure DR, la drogue et l’alcool, c’est du suicide. On dénonce leur utilisation dans nos chansons. »

En dépit de leurs précautions pour ne pas trop froisser les tabous de la société gaziote, les rappeurs de Gaza ont essuyé les menaces des groupes armés. L’été dernier, des militants encagoulés et équipés de M-16 et de kalachnikovs ont interrompu un de leur concert et ont enlevé l’un des quatre membres du groupe. « Ils l’ont emmené dans une de leurs caches pendant trois heures et lui ont dit d’arrêter les concerts, raconte DR. Ils ont menacé de poser une bombe lors de notre prochaine représentation. »

Fidèles au respect d’une moralité très stricte, les militants n’appréciaient guère que des filles et des garçons, frôlant parfois la transe, dansent côte à côte lors des concerts. À Gaza, où les islamistes surveillent de très près les moeurs, un simple flirt peut coûter la vie. Incapables de contrôler leurs groupies, les Palestinian Rappers ont donc décidé de ne plus se produire en concert jusqu’à nouvel ordre. Ils ont tenté de convaincre les groupes armés qu’ils cherchaient à résister contre Israël à leur façon. Mais les islamistes ont sanctionné les déclarations de ces artistes engagés par une rafale de rires. Ils leur ont plutôt conseillé de jeter des pierres ou de prendre les armes contre les soldats israéliens, alors que ces derniers ont achevé d’évacuer la Bande de Gaza en septembre 2005.

Sans succès.

Le Figaro, édition du 14 mars 2007, Patrick Saint-Paul, envoyé spécial à Khan Younès (Bande de Gaza).


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