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Comment Barack Obama a appris à aimer Israël

samedi 17 mars 2007 - 12h:27

Ali Abunimah

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J’ai rencontré le candidat démocrate à la présidence, le Sénateur Barack Obama, pour la première fois, il y a près de dix ans, quand il vint parler à l’Université de Chicago en sa qualité de représentant de l’Etat d’Illinois. Je l’ai trouvé progressiste, intelligent et charismatique. Je me souviens très bien avoir pensé : « si seulement un homme de ce calibre pouvait devenir un jour président ».

Vendredi, Obama a prononcé un discours devant le Comité des affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC) à Chicago. Ce discours était très attendu dans les cercles politiques judéo-américains qui faisaient grand bruit de la cour empressée que le candidat faisait aux riches donateurs pro-israéliens de la campagne électorale qui avaient jusque là généralement penché en faveur de sa principale rivale, la Sénatrice Hillary Clinton.

Dans son commentaire sur le discours, Shmuel Rosner, correspondant de Ha’aretz à Washington, a conclu qu’Obama « semblait aussi ferme que Clinton, aussi solidaire que Bush, aussi amical que Giuliani ». Sur le plan rhétorique du moins, Obama avait réussi tous les tests que l’on pouvait souhaiter qu’il passât. Conclusion : il est pro-Israël, un point, c’est tout.

Israël est « notre plus grand allié dans la région et la seule démocratie établie » a dit Obama, assurant l’auditoire que « nous devons préserver notre engagement total à l’égard de la relation de défense unique avec Israël en finançant entièrement l’aide militaire et en poursuivant les travaux sur Arrow et les programmes de défense anti-missile apparentés ». De tels systèmes avancés coûtant des milliards de dollars aideraient Israël à « décourager les attaques lancées par missile d’aussi loin que Téhéran et d’aussi près que Gaza », a-t-il affirmé,. Comme si la population de Gaza, affamée, assiégée et traumatisée était sur le point de produire des missiles balistiques intercontinentaux.

Pas une critique d’Israël ne sortit de la bouche d’Obama, ni pour ce qui est de la construction ininterrompue de colonies et du mur ou des bouclages qui rendent la vie intenable pour des millions de Palestiniens.

Pas un mot de compassion pour les centaines de milliers d’habitants de Gaza qui vivent dans le noir, ou les malades qui ne peuvent pas se faire dialyser à cause de ce que le groupe de défense des droits humains, B’Tselem, a appelé : « la froide décision, calculée, de bombarder la seule centrale électrique de Gaza, prise par le premier ministre d’Israël, le ministre de la défense, et le chef d’Etat major des FDI l’été dernier, décision qui « n’avait rien à voir avec les tentatives de libérer [le soldat capturé] ni aucun autre impératif militaire ». Ce fut un crime de guerre gratuit, un des nombreux crimes condamnés par les organisations de défense des droits humains, contre une population civile occupée que la Quatrième Convention de Genève oblige Israël à protéger.

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Barack Obama en compagnie d’Edward Saïd à l’université Columbia en 1998 - (Photo : Ali Abunimah)

Tout en insistant constamment sur son inquiétude devant la menace que les Palestiniens posent pour Israël, Obama n’a rien dit de la menace exponentiellement bien plus mortelle que les Israéliens représentent pour les Palestiniens. En 2006, selon B’Tselem, les forces d’occupation israéliennes ont tué 660 Palestiniens, dont 141 enfants - soit trois fois plus qu’en 2005. Pendant la même période, les Palestiniens ont tué 23 Israéliens, soit la moitié par rapport à 2005 (à comparer avec les 500 Israéliens qui meurent chaque année dans des accidents de la route).

Toutefois, Obama n’a pas été entièrement insensible aux gens ordinaires. Il a rappelé qu’en janvier 2006, il avait visité la ville israélienne de Kiryat Shmona qui ressemblait à une banlieue américaine typique où il pouvait imaginer les voix d’enfants israéliens « tout à leurs jeux joyeux, tout comme mes propres filles ». Il avait vu une maison dont les Israéliens lui avaient dit qu’elle avait été endommagée par une roquette du Hezbollah (personne n’avait été touché dans cet incident).

Six mois plus tard, a dit Obama, « le Hezbollah a lancé quatre mille roquettes comme celle qui avait détruit la maison de Kiryat Shmona et enlevé des membres des services israéliens ».

Obama laisse entendre que le Hezbollah a lancé des milliers de roquettes sans provocation, ce qui est une déformation totale de la vérité. Pendant tout son discours, il a fait preuve d’une propension inquiétante à présenter comme un fait établi, une propagande discréditée. Quiconque vérifie la chronologie de la guerre de l’été dernier contre le Liban découvrira facilement que le Hezbollah n’a lancé de barrages meurtriers de roquettes contre les villes israéliennes qu’après qu’Israël eut lourdement bombardé des quartiers civils au Liban, tuant des milliers de civils, dont beaucoup fuyaient l’assaut israélien.

Obama a attaqué le Hezbollah avec virulence pour avoir utilisé « des gens innocents comme boucliers ». En fait, après que des dizaines de civils ont été massacrés dans une attaque aérienne israélienne contre Qana le 30 juillet, Israël « a initialement prétendu que l’armée visait le bâtiment parce que des combattants du Hezbollah avaient lancé des roquettes depuis cet endroit » selon la déclaration du 2 août de l’organisation Human Right Watch.

Celle-ci poursuivait : « nos enquêteurs qui ont visité Qana dans la journée suivant l’assaut, le 31 juillet, n’ont trouvé aucun équipement militaire détruit à l’intérieur ni près de la maison. De même, personne parmi les dizaines de journalistes internationaux, membres des équipes de secours, et observateurs internationaux qui se sont rendus à Qana les 30 et 31 juillet n’a fait état de preuves attestant la présence militaire du Hezbollah dans la maison ou près d’elle. Les secouristes n’ont pas récupéré de cadavres de combattants apparemment membres du Hezbollah, ni à l’intérieur, ni près du bâtiment ». Par la suite, les Israéliens ont changé leur histoire et ils n’ont jamais produit, pas plus que les enquêteurs internationaux n’ont jamais trouvé, ni à Qana, ni ailleurs, de preuves confirmant que le Hezbollah avait pour politique d’ utiliser les civils comme boucliers humains.

Au total, quarante-trois civils israéliens sont décédés dans des attaques à la roquette du Hezbollah pendant les trente-quatre jours qu’a duré la guerre. Pour chaque civil israélien mort, plus de vingt-cinq civils libanais ont été tués dans les bombardements israéliens aveugles - plus de mille au total, dont un tiers étaient des enfants. Même l’administration Bush a récemment critiqué l’usage par Israël des bombes à fragmentation contre les civils libanais. Toutefois, Obama a défendu l’assaut israélien contre le Liban, comme l’exercice de son « droit légitime à se défendre ».

Il n’y a eu absolument rien dans le discours d’Obama qui s’écartât du consensus de la ligne dure qui sous-tend la politique américaine dans la région. Reprenant le genre d’exagération et d’alarmisme qui ont entraîné les Etats-Unis dans la guerre contre l’Irak, il a appelé l’Iran : « Une des plus grandes menaces pour les Etats-Unis, pour Israël et pour la paix dans le monde. Tout en plaidant en faveur d’une diplomatie « dure » avec l’Iran, il a confirmé que « nous ne devrions écarter aucune option, y compris l’action militaire ». Il s’est opposé à un gouvernement palestinien unissant le Hamas et le Fatah et, a-t-il insisté, « nous devons continuer à isoler le Hamas » jusqu’à ce qu’il réponde aux conditions unilatérales du Quartette. Il a dit que le Hezbollah, qui représente des millions de Libanais privés de droits et exclus, « menace le mouvement naissant vers la démocratie » et l’a accusé de « plonger le pays entier dans la violence et le conflit ».

Au fil des années, depuis la première fois que je l’ai vu parler, j’ai rencontré Obama une demi-douzaine de fois, souvent à l’occasion de manifestations communautaires palestiniennes et arabo-américaines à Chicago, notamment lors d’un appel communautaire de fonds en mai 1998 au cours duquel Edward Said avait prononcé le discours principal. En 2000, quand Obama s’est présenté sans succès aux élections pour un siège au Congrès, je l’ai entendu parler lors d’une campagne de collecte de fonds accueillie par un professeur de l’Université de Chicago. A cette occasion et en d’autres, Obama a critiqué sans détours la politique américaine et a demandé franchement que le conflit israélo-palestinien soit abordé de façon équitable.

La dernière fois que j’ai parlé avec Obama, c’était pendant l’hiver de 2004 lors d’une réunion dans le quartier de Hyde Park à Chicago. Il était en pleine campagne de primaires pour obtenir l’investiture démocrate à un siège au Sénat des Etats-Unis, siège qu’il occupe à présent. Toutefois, tous les sondages le donnaient à la traîne.

Alors qu’il arrivait du froid et qu’il enlevait son manteau, j’allai le saluer. Il me salua chaleureusement et me dit : « Désolé, je n’ai pas beaucoup parlé des droits palestiniens maintenant, mais nous sommes dans une rude course aux primaires. J’espère que quand les choses se calmeront je pourrai être plus franc ». Se référant à mon militantisme, y compris aux chroniques que je publiais dans le Chicago Tribune où je critiquais la politique israélienne et américaine (il m’a dit) : « Continue ton bon travail ! ».

Toutefois, Obama a commencé progressivement son virage vers le camp de l’AIPAC dès 2002 quand il se prépara à passer des modestes milieux politiques de l’Illinois à la scène nationale. En 2003, Forward relata comment il avait : « fait la cour à la circonscription pro-israélienne ». Il parraina conjointement un amendement au Code des pensions de l’Illinois permettant à cet Etat de prêter de l’argent au gouvernement israélien. Parmi ses premiers commanditaires figurait Penny Pritzker - maintenant présidente des finances de sa campagne nationale - rejetonne d’une famille libérale, mais ardemment sioniste qui possède la chaîne d’hôtels Hyatt (Le Hyatt Regency sur le Mont Scopus a été construit sur des terres dont les propriétaires palestiniens avaient été expulsés de force lorsque Israël occupa Jérusalem-Est en 1967). Il s’est aussi adjoint plusieurs conseillers pro-israéliens de premier plan.

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Michelle et Barack Obama écoutent le professeur Edward Said prononcer le discours principal lors d’une manifestation de la communauté arabe à Chicago en mai 1998 (Photo : Ali Abunimah)

Obama a aussi été proche de certains Arabes américains importants et a bénéficié de leurs conseils avisés. Sa trajectoire décisive prouve à nouveau ce que les groupes politiquement faibles ont appris à leurs dépens plusieurs fois, à savoir que l’accès aux puissants ne se traduit pas en influence politique. Pour acquérir de l’influence politique il faut de l’argent et des voix, mais surtout de l’argent, acheminé par des réseaux sophistiqués et coordonnés qui peuvent regrouper de petits dons en paquets de millions de dollars.

Actuellement, les défenseurs des droits palestiniens sont loin d’avoir de tels réseaux à leur disposition. A moins que nous ne nous employions à mener la dure tache nécessaire pour les construire et appuyer une réforme valable du financement des campagnes électorales, les chuchotements que nous pourront glisser dans l’oreille des politiciens n’auront que peu d’effet. (Pour ce que cela vaut, j’ai récemment rencontré l’assistant législatif d’Obama et j’ai écrit au sénateur en demandant instamment que la Palestine bénéficie d’une politique plus équilibrée). Bien que décevant, vu les relations étroites qu’il a entretenues par le passé avec les Palestino-Américains, le revirement d’Obama n’est pas surprenant. Il fait simplement ce qu’il juge nécessaire pour être élu et il continuera ainsi aussi longtemps que cette conduite le maintiendra au pouvoir.

Les Palestino-Américains sont dans la même situation que les défenseurs des droits civils qui ont vu avec consternation Obama voter en faveur du renouvellement du Patriot Act, ou les partisans des droits des émigrés qui ont été horrifiés lorsqu’il a voté en faveur d’une loi des Républicains autorisant la construction d’une clôture de 700 miles sur la frontière avec le Mexique.

Il faut qu’assez de personnes connaissent les positions défendues par Obama et ses concurrents et s’organisent pour les obliger à tenir compte de leurs préoccupations ; c’est uniquement alors qu’il y aura un quelconque espoir de modifier le cours désastreux de la politique américaine au Moyen-Orient. Au mieux, c’est un projet à très long terme qui ne peut pas se substituer au soutien d’une campagne grandissante visant le boycott, le désinvestissement et les sanctions de nature à obliger Israël à rendre des comptes pour l’escalade de sa violence et le renforcement de l’apartheid.


*Ali Abunimah est le cofondateur de The Electronic Intifada et l’auteur de :
One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse


Du même auteur :

- Guerre américaine par procuration à Gaza
- Israël : La démocratie, une menace existentielle ?

4 mars 2007 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : AMG


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