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Afghanistan : Pourquoi des civils sont-ils tués ?

jeudi 16 juin 2011 - 07h:21

James Petras - Dissident Voice

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La récente série de meurtres de civils par les forces de l’OTAN en Afghanistan occupé a soulevé plusieurs questions essentielles : Pourquoi les forces aériennes et terrestres de l’OTAN et des USA tuent-elles tant de civils, avec autant de constance et sur des si longues périodes de temps dans différentes régions de ce pays ?

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Août 2008 - En un seul bombardement, les avions de l’OTAN ont massacré 63 civils dans le village de Wacha Bakhta (province de Kandahar), où un mariage était célébré... Un exemple parmi une multitude d’autres.

Pourquoi le nombre de civils assassinés a-t-il augmenté au cours du conflit ? Pourquoi les avions de l’OTAN et des USA continuent-ils de bombarder des maisons civiles et des réunions villageoises et les troupes au sol attaquent-elles sans discrimination les habitations et les fabriques ? Pourquoi les supplications du collaborateur de l’OTAN, le président Karzaï d’arrêter de bombarder des maisons ne sont-elles pas entendues ? Bref, étant donné que les meurtres de civils, de familles entières y compris des enfants, des mères et des vieillards, aliène la population et engendre une profonde hostilité générale, pourquoi l’armée OTAN-USA refuse-t-elle de changer de tactique et de stratégie ?

Explications et excuses pour les meurtres de civils

Les défenseurs des meurtres de civils de l’OTAN sont d’autant plus prolixes que leurs explications manquent de fond. Les porte-paroles du Pentagone parlent "d’accidents", d’erreurs de guerre" de "dommages collatéraux" ; les médias dominants rejettent la faute sur les combattants de la guérilla qui engagent des combats dans des zones peuplées de civils ; les intellectuels néo-conservateurs et leurs collègues des "think tank" blâment le fondamentalisme islamique qui convertit les villages à sa cause et qui "force" l’OTAN à tuer des civils afin de faire des martyrs et d’utiliser leur mort à des fins de recrutement.

Ces explications manifestement superficielles soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses et parfois contestent par inadvertance le bien-fondé de la guerre tout entière. L’argument de "l’erreur de guerre" soulève une question plus essentielle : quelle est cette sorte de guerre dans laquelle l’OTAN se trouve sans cesse confronté à des guérilléros "qui se fondent" dans la population pendant que les forces d’occupation brisent les portes de maisons et considère chaque famille comme le sanctuaire potentiel ou l’avant-poste de la résistance ? Quelle sorte d’armée compte sur des avions de combat de haute altitude et sur des avions sans pilote téléguidés à partir de postes de commande éloignés pour attaquer des centres de population où les gens s’adonnent au commerce, à la culture et aux activités domestiques. De toute évidence, cela ne peut être qu’une armée d’occupation, une armée impérialiste qui soit prête à sacrifier encore et encore de nombreux civils pour tuer une ou quelques personnes soupçonnées d’être des combattants. Seule une armée qui opère dans un environnement civil hostile croit qu’un "ennemi" se cache derrière la porte de chaque maison ; que chaque famille abritait un combattant ; et qu’il faut mieux "entrer en tirant" que de risquer de se prendre une balle dans le ventre. Les "accidents de guerre" ne se produisent pas "par hasard" pendant des dizaines d’années sur tout le territoire d’une nation. Le meurtre de civils est le résultat d’une guerre de conquête impérialiste contre tout un peuple qui résiste à l’occupation par tous les moyens adéquats. Les pilotes et les troupes au sol reconnaissent qu’elles sont une force étrangère hostile, dont la présence est contrôlée par une hiérarchie de généraux et de politiciens qui se battent contre d’abstraites machinations "de terroristes liés à Al Qaeda" tout aussi abstraits et sans aucun rapport avec le réseau dense de liens personnels de solidarité qui lie les combattants de la résistance et les civils en Afghanistan.

A partir de ces catégories abstraites, les stratèges intitulent "caches" les complexes d’habitation familiale ; "réunions de terroristes", les réunions de famille ; "contrebandiers de la guérilla" les caravanes de commerce. Le fossé qui sépare les intérêts conflictuels des politiciens, généraux, stratèges et officiers militaires d’une part et la population et la résistance civile de l’autre est énorme. Plus il y a de civils/combattants tués plus la carrière des officiers impérialistes progresse -et ils sont avides de promotions et de juteuses pensions.

Sur le terrain, dans l’intimité des familles et des cercles claniques de million de personnes où la douleur et la colère coexistent, la résistance se développe sous les formes les plus variées : Les voeux sacrés et les voeux profanes de "continuer à se battre" jaillissent des millions d’humiliations quotidiennes que subissent les jeunes et les vieux, les femmes et leurs maris, chez eux, sur les marchés, les routes et les chemins. Le regard hostile d’une mère qui protège son enfant des soldats qui font irruption dans sa chambre en dit aussi long que le bruit des coups de feu d’un tireur d’élite caché dans une crevasse de montagne.

La guerre d’un peuple : pas la guerre contre le terrorisme

Le meurtre de civils n’est pas "accidentel". La raison fondamentale pour laquelle tant de civils sont tués chaque jour partout dans le pays depuis plus de dix ans est qu’il est impossible de distinguer les civils des combattants. Décrire les combattants afghans comme des sortes de terroristes lanceurs de bombes professionnels et sans attaches n’a aucun sens. La plupart des combattants afghans ont une famille, cultivent leurs champs et s’occupent de leurs troupeaux ; ils élèvent leurs familles et vont à la mosquée ; ils sont des civils la moitié du temps et des combattants l’autre moitié. Il n’y a que dans les esprits simplistes des "grands stratèges militaires" des instances dirigeantes du Pentagone et de l’OTAN que de telles distinctions existent. Leur mission militaire meurtrière destinée à "sauver le peuple des terroristes fondamentalistes", un chef d’oeuvre de mauvaise foi à usage interne, est en réalité un tremplin pour monter dans la hiérarchie militaire. Chaque progrès dans la hiérarchie dépend de la capacité à mener une "guerre juste" au succès.

Les combattants-civils sont un phénomène populaire de masse. Sinon, comment expliquer leur capacité à maintenir une résistance armée pendant plus de dix ans, résistance qui progresse même avec le temps ? Comment expliquer leur succès militaires contre les forces armées et les conseillers militaires de 40 pays dont les USA, l’Europe et une grappe de mercenaires d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du sud ? Comment expliquer la résistance grandissante en dépit des souffrances dues à une occupation militaire qui utilise les armes de guerre les plus avancées sur le plan technologique ? Comment expliquer la baisse de soutien populaire à la guerre dans le pays du "Conquérant" et le nombre grandissant des Résistants ? Le peuple afghan se montre loyal envers les combattants qui n’ont pas de milliards pour acheter la fausse "loyauté" de mercenaires qui peuvent, comme on l’a déjà vu, "tourner leurs fusils dans l’autre sens" à tout moment.

Les mariages sont bombardés parce que les combattants vont aux mariages -avec des centaines d’amis et de membres de leurs familles. Les villages sont bombardés parce que les cultures des paysans profitent à la résistance. les abris civils deviennent des sanctuaires militaires. L’Afghanistan est divisé en deux : l’armée des USA contre un peuple en armes. Devant cette réalité la vraie politique du Pentagone et de l’OTAN est de contrôler et/ou détruire. Chaque bombe qui tue des dizaines de civils en essayant d’atteindre un tireur d’élite accroît l’isolement et le discrédit de la marionnette dirigeante. Le "président" Karzaï a vu sa mission de créer une "base civile" pour reconstruire le pays complètement discréditée. Ses faibles protestations contre les bombardements de cibles civiles par l’OTAN tombent dans l’oreille d’un sourd ; parce que le commandement de l’OTAN sait très bien que "les civils" constituent "le coeur de la résistance" -une vaste réserve de soutien aux combattants ; Leurs yeux et leurs oreilles sont bien plus efficaces que tout l’attirail électronique des services secrets de l’Occupant. Karzaï ne peut pas plus convaincre les civils de se retourner contre les combattants qu’il ne peut convaincre les armées impérialistes d’arrêter de bombarder des maisons et des assemblées civiles.

Washington sait bien que après chaque retrait (ou retraite) le terrain, les villes et les villages sont occupés par les combattants de la résistance qui émergent de partout. Le mieux que les politiciens de l’OTAN-USA puissent négocier est une départ en ordre dans la sécurité. Le mieux qu’ils puissent espérer est que leurs collaborateurs locaux ne les trahiront pas et ne s’enfuiront pas à l’étranger prématurément en donnant les milliards de dollars de matériel militaire à la résistance. Le mieux que les collaborateurs puissent espérer est de parvenir à trouver une voie de sortie, un visa, un compte en banque et une autre demeure confortable à l’étranger. Ce qui est tout à fait clair, c’est que ni les USA ni l’OTAN ni leurs collaborateurs ne joueront aucun rôle dans l’Afghanistan nouvellement indépendant.

* James Petras, un ancien professeur de Sociologie à l’université de Binghamton, New York, compte 50 de service dans la lutte des classes ; il est conseiller des sans terres et sans travail au Brésil et en Argentine et est co-auteur de Globalization Unmasked (Zed Books). Le dernier livre de Petras est : The Arab Revolt and the Imperialist Counterattack. (Clear Day Books - A subsidiary of Clarity Books). On peut le joindre à : jpetras@binghamton.edu.

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9 juin 2011 - Dissident Voice - Pour consulter l’original :
http://dissidentvoice.org/2011/06/a...
Traduction : Dominique Muselet


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