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Le jour où les soldats israéliens sont venus pour arrêter mon père

samedi 7 mai 2011 - 03h:28

Hanin Ahmad Qatamesh - E.I

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La semaine passée, le 21 avril, ma maison à Ramallah est prise d’assaut par les soldats israéliens.

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Gaza - Manifestation d’enfants de prisonniers palestiniens en Israël

Ils ont pris en otage tous les occupants et m’ont sommée, sous la menace d’une arme, d’appeler mon père, écrivain et avocat des droits de l’homme pour qu’il se rende. A vrai dire, c’est la procédure courante employée par les forces de l’occupation israélienne. Mais cette fois-ci, la personne en captivité n’est autre qu’une citoyenne américaine disposée à parler haut et fort : et je ne vais pas me taire.

En effet, je suis née à New York mais j’ai grandi à Ramallah, en Cisjordanie occupée. Actuellement, je poursuis mes études au Caire et de là, je suis retournée à Ramallah pour passer les vacances de Pâques avec ma famille. Hélas, cette grande joie de retrouver les miens s’est vite transformée en un immense chagrin.

Les faits remontent à mercredi dernier au soir. Peu après minuit, ma mère et moi étions en train de discuter quand soudain, nous avons entendu un martèlement à la porte. « Iftakh bab » ! (Ouvrez la porte) a crié quelqu’un dans un arabe familier, hésitant et qui fait froid dans le dos. Prudentes, nous avons regardé à travers la fente du rideau et avons découvert plusieurs soldats de l’occupation israélienne qui, lourdement armés et en formation de combat, avaient encerclé la maison. Peu de temps après, ils sont entrés par effraction et ont occupé la maison.

Une fois à l’intérieur, pointant leurs mitrailleuses sur nous, ils ont dit qu’ils voulaient fouiller la maison. Sans réfléchir, je suis accourue dans l’une des chambres où dormait ma tante de 69 ans ainsi que ma cousine Nai, âgée de 14 ans afin de prévenir cette dernière et lui éviter un réveil avec l’arme sous le nez. Ce fut l’une des expériences qui a le plus obsédé mon enfance traumatisée lorsque, des années auparavant, les forces israéliennes étaient venues pour arrêter mon père.

Ma cousine Nai, dont le silence ne fait jamais partie de ses vertus, s’était pourtant réveillée toute tremblante et sans voix. Au même moment, ma mère a, dans ce qui semble être un geste délibéré, bondi pour réveiller ma tante. Visiblement agités, les soldats ont jugé nos mouvements hostiles et, visant nos têtes, ils nous ont ordonnées d’arrêter de bouger. Fort heureusement, ma mère et moi avions réussi à réveiller les deux avant que les soldats n’arrivent à leur chevet.

Après une fouille sans succès, les soldats sont montés dans l’appartement qui se trouve juste au-dessus du nôtre et dont les propriétaires, eux aussi citoyens américains, étaient absents.
Et nous voilà donc, quatre femmes Palestiniennes, tous âges confondus, coincées dans une chambre et ces nombreuses armes dirigées vers nous. Bien évidemment, ils ont confisqué nos téléphones pour nous couper du monde extérieur. Confrontée à cette situation, et bien que j’aie essayé de garder mon calme et de ne rien laisser échapper devant ces soldats, je n’ai pu cependant m’empêcher de verser quelques larmes qui se sont dessinées sur mes joues. Ainsi, je me suis dit que je n’aurai pas l’occasion de dire au revoir à mon père, à celui qui est plus que mon baba adoré : il est mon mentor. Dans quelques jours, mes vacances seront terminées et je serai de retour à l’université. Mon père a toujours rêvé de me voir terminer mes études et obtenir mon diplôme. C’est pourquoi, décidais-je dans mon for intérieur : je dois continuer à tout prix.

J’étais donc plongée dans mes pensées quand soudain, Nai a interrompu mes réflexions et a dit : « Ecoute, soit on pleure, soit on parle sans arrêt ». Sans doute choisira-t-elle la deuxième option, qui est son passe-temps favori. Effectivement, nous avons transcendé notre peur et nous nous sommes mises à parler, à rire, à blaguer et à bavarder davantage, de quoi narguer les soldats afin qu’ils regrettent l’instant où ils ont cruellement envahi notre maison. Et pour nous aider à rester calmes et à garder notre sérénité, Nai a saisi son iPod pour nous faire écouter « Li Beyrouth », une très belle chanson de la diva Libanaise Fayrouz. Visiblement en colère, un soldat a interpellé Nai en criant : ?’ « Donne-moi cette [juron] chose sinon !... ». Obéissante, l’adolescente s’exécute, non sans le taquiner en lançant : « Quelle bande de lâches ! Même Fayrouz vous fait peur ! »

Et comme ils allaient entrer dans ma chambre, j’ai prévenu le commandant que mon MacBook et mon Blackberry étaient à l’intérieur et que j’espérais les retrouver à leur place une fois la fouille terminée.

Entendant cela, il a furieusement rétorqué : « Nous ne prenons jamais ce qui ne nous appartient pas ». Me taire était trop me demander et je n’ai pu m’empêcher de hurler : « En plus de voler tout le temps notre terre, neuf ans plus tôt, des soldats israéliens avaient été interceptés en train de vider des maisons palestiniennes d’objets de valeur. Comment osez-vous me dire que vous ne vous emparez jamais de ce qui ne vous appartient pas ? ». Pour me faire taire, il a orienté vers moi son M-16, fabriqué aux USA.

N’est-ce pas l’ironie du sort qui fait qu’une arme fabriquée dans mon pays natal soit maniée par des soldats israéliens pour étouffer ma voix alors qu’ils pillaient ma propre chambre, au beau milieu de la nuit !

Et ils étaient là, disent-ils, à la recherche de mon père, Ahmad Qatamesh.

Pas surprenant alors s’ils ne prennent pas la peine de nous expliquer le mobile de leur recherche. En nous maintenant contre notre gré dans le salon, ils n’ont cessé de répéter qu’ils ne partiraient pas avant que mon père ne « se rende ». Ma mère a répondu qu’il n’était pas à la maison et qu’il ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrêt ! Et c’est à cet instant seulement que nous venions de réaliser que nous étions prises en otage.

Mon père, cet homme très admiré et respecté au sein de la société palestinienne est un spécialiste des sciences politiques, écrivain et avocat des droits de l’homme. Tout ce tumulte et cette agitation me font voyager dans le temps pour atterrir à l’année de mes neuf ans quand, anxieuse, j’attendais devant la porte d’une prison israélienne pour la libération imminente de mon père. A l’époque, il avait passé environ six ans en « détention administrative », sans chef d’accusation, sans procès, sans même l’ombre d’une chance pour qu’il se défende ou pour qu’il sache de quel crime il était accusé. Considérée comme un outrage à la justice, Amnesty International et d’autres organisations des droits de l’homme avaient alors condamné cette procédure.

A sa sortie, j’ai sauté à son cou et je l’ai serré dans mes bras comme si c’était la première fois de ma vie, et je lui ai demandé de me promettre de ne plus jamais s’absenter aussi longtemps. Fidèle à lui-même, à son honnêteté implacable, il m’a répondu : « Si seulement je pouvais ! Ils doivent d’abord déguerpir de nos vies avant que je ne puisse faire une telle promesse ».

Le commandant, en me menaçant avec son fusil m’a forcé d’appeler mon père qui était chez mon oncle. J’ai téléphoné à mon père et puis le soldat a arraché de mon appareil et a crié : « Ou vous vous rendez, ou nous détruirons la maison ! »

Sur le même ton du soldat mon père a répondu, je dirais que sa voix était plus forte pour que je puisse l’entendre : « Vous et vos soldats êtes les outils de l’occupation. Ce que vous faites là est une violation de nos droits fondamentaux. Vous n’avez pas le droit d’être dans notre maison. Laissez ma famille en paix et venez m’arrêter ici ! »

C’est ainsi que quelques soldats sont partis pour arrêter mon père. Une fois leur objectif atteint, ils ont informé ceux qui étaient restés dans notre maison en guise de feu vert pour partir. Toutefois, le dernier des soldats qui s’apprêtait à sortir m’a lancé : « Maintenant que nous détenons votre père, nous allons bien prendre soin de lui ! ». J’ai répondu, en criant, au bord des larmes : « Vous n’êtes que des criminels ! Mon père saura s’occuper de lui-même ».

Ceci étant, je constate que j’ai peut-être appris de mon père un principe fondamental et très important, celui de ne jamais permettre aux obstacles d’entraver mon parcours vers la réussite et vers la réalisation de mes rêves. Je continuerai à rêver de la liberté palestinienne. Et tout au long du chemin que j’entreprendrai, je ne manquerai d’exposer la brutalité de l’occupation israélienne infligée à notre terre et à nos maisons.

* Hanin Qatamesh est née à New York en 1989. Elle a vécu sous l’occupation en Palestine jusqu’à la fin de ses études secondaires. Elle est actuellement étudiante en communication de masse à l’Université Américaine du Caire (AUC)

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Traduction de l’anglais : Niha


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