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Un Juif a-t-il le droit de critiquer Israël ?

vendredi 9 mars 2007 - 06h:37

Gaby Wood - The Observer

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La polémique fait rage aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En dénonçant l’impossibilité de contester la politique de l’Etat hébreu, des intellectuels juifs de gauche, comme l’historien britannique Tony Judt, ont-ils ouvert un débat salutaire ? Ou bien attisent-ils l’antisémitisme ?

Le 3 octobre dernier, l’éminent historien britannique Tony Judt s’apprête à donner une conférence sur le thème “Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine” au consulat de Pologne à New York lorsque son téléphone sonne. A l’autre bout du fil, on lui annonce de but en blanc que son intervention est annulée. Son interlocuteur lui précise qu’Abraham Foxman, directeur national de la Ligue antidiffamation [ADL, association de lutte contre l’antisémitisme], a appelé le consul polonais.

Cet appel de l’ADL est-il à l’origine de l’annulation ? La question va soulever un débat houleux dans les jours et les mois suivants. Pour Foxman, ces accusations sont “absurdes” et “relèvent de la théorie du complot”. Le consul de Pologne, Krzysztof Kasprzyk, va pourtant admettre un peu plus tard qu’il a été contacté par plusieurs organisations juives - parmi lesquelles l’ADL et le Comité juif américain (AJC) - qui se disaient préoccupées par le caractère anti-israélien des propos de M. Judt. “Ces appels téléphoniques étaient très élégants, mais peuvent être interprétés comme une façon d’exercer une pression subtile”, a reconnu M. Kasprzyk.

Il ne lui a pas fallu longtemps pour réaliser que la Pologne, au vu de son histoire, n’était peut-être pas très bien placée pour offrir une tribune à des arguments qui, dans certains milieux intellectuels américains, sont assimilés à de l’antisémitisme.


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Tony Judt

Dans la presse juive de New York, l’incident a été surnommé avec un humour contestable “l’affaire Judt”. Bien sûr, tout le monde ne voyait pas en Judt un Dreyfus de notre temps. The New York Review of Books a publié une lettre ouverte à Abraham Foxman, signée par 114 intellectuels dont beaucoup ne partageaient pas les vues de Judt sur le Proche-Orient mais qui estimaient que son droit à la liberté d’expression avait été entravé.

Depuis la fin janvier, l’affaire Judt est passée à la vitesse supérieure. Dans un article publié par le Comité juif américain, l’universitaire spécialiste de la Shoah Alvin Rosenfeld assimilait les positions de l’historien et d’autres juifs “progressistes” - tels le dramaturge américain Tony Kushner et l’universitaire britannique Jacqueline Rose - à de l’antisémitisme. La polémique a été relayée par The New York Times, ce qui lui a donné une ampleur sans précédent et a permis d’ouvrir le débat sur un sujet jusque-là tabou. Un tabou qui paralyse depuis longtemps les Américains et que Judt résume ainsi : “Tout le monde est réduit au silence - les Juifs, parce qu’ils ont l’obligation de soutenir Israël, et les non-Juifs, parce qu’ils ont peur de passer pour des antisémites. Résultat, personne n’aborde le sujet.”

Philip Weiss, un hardi chroniqueur de l’hebdomadaire The New York Observer, dont le blog MondoWeiss a été assailli de messages depuis qu’il a parlé du sujet début février, est même allé jusqu’à proclamer l’avènement d’un nouveau mouvement. Il en veut pour preuve le nouvel espace de débat Independent Jewish Voices [Voix juives indépendantes], lancé le 5 février au Royaume-Uni par un groupe de personnalités éminentes, parmi lesquelles l’historien Eric Hobsbawm et le dramaturge Harold Pinter. Independent Jewish Voices a vu dans le 40e anniversaire de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza une occasion pour créer “un climat et un espace où les Juifs de différentes sensibilités et obédiences puissent dire ce qu’ils pensent de la politique menée par le gouvernement israélien sans se voir accuser d’être déloyaux ou mus par la haine de soi”. On peut lire parmi ses principes fondateurs : “Le combat contre l’antisémitisme est indispensable, mais perd de sa crédibilité dès lors que l’opposition à la politique du gouvernement israélien est systématiquement qualifiée d’antisémite.” “Beaucoup de gens comme Tony Judt font un travail courageux ici, aux Etats-Unis, depuis quelque temps, confie Weiss. La nouveauté, c’est qu’à présent le grand public s’y intéresse.”

Il fait remonter ce phénomène à mars 2006, date à laquelle la London Review of Books a publié un article explosif (qui avait été refusé par The Atlantic Monthly) concernant l’influence du lobby pro-israélien sur la politique étrangère des Etats-Unis, signé de deux universitaires américains, Stephen Walt et John Mearsheimer. Cet article a suscité une telle quantité de réactions - le plus souvent empreintes d’accusations d’antisémitisme - que la London Review of Books a décidé d’animer un débat sur le sujet à New York en septembre dernier. La salle était comble.

Tony Judt, qui était l’un des intervenants, a souligné qu’il était révélateur qu’une publication londonienne soit à l’origine de l’événement. Le débat public sur cette question brille depuis tellement longtemps par son absence aux Etats-Unis qu’il ne pouvait être ouvert que de l’extérieur, a-t-il laissé entendre.
“Quand Walt et Mearsheimer ont été publiés à Londres, poursuit Philip Weiss, je me suis dit que quelque chose était en train de changer.” Depuis, la parution du livre de l’ancien président Jimmy Carter Palestine : Peace, not Apartheid [Palestine : la paix, pas l’apartheid] et l’attention accordée aux accusations portées par Alvin Rosenfeld dans son article pour le Comité juif américain ont conforté Weiss dans son sentiment. “Ce qu’il y a d’intéressant dans ce qui se passe en ce moment, c’est que des gens qui avaient des choses à dire sur le sujet et ne les avaient jamais exprimées sont en train de se manifester un peu partout. Je trouve cela très stimulant. J’ai du mal à y croire.” De fait, le sujet est tellement d’actualité que le magazine en ligne Slate a proposé récemment à ses lecteurs un test intitulé : “Etes-vous un antisémite de gauche ?”.

Tony Judt est, pour reprendre l’expression de l’un de ses confrères historiens, “l’un de nos intellectuels publics les plus éblouissants”. En tant que professeur de l’Université de New York (NYU) et chroniqueur régulier de The New York Review of Books, du New York Times et de The Nation, c’est une voix très écoutée. Judt, qui n’a pas son pareil pour tisser des liens entre des penseurs du monde entier, s’est inlassablement employé après 1989 à rapprocher des intellectuels d’Europe de l’Est et des Etats-Unis. Il a consolidé ces liens en fondant en 1995, à l’Université de New York, l’Institut Erich Maria Remarque d’études européennes, qui a pour but de promouvoir l’étude du Vieux Continent aux Etats-Unis. Polémiste-né, il a apporté avec lui à New York une pugnacité plus typique d’Oxford et de Cambridge que de la vie universitaire américaine et, après avoir travaillé pendant des années sur l’histoire européenne, il a renoué avec le Proche-Orient.

En 2003, Judt avait publié dans The New York Review of Books un article provocateur intitulé “Israel : The Alternative”, dans lequel il soutenait, entre autres choses, que l’Etat d’Israël était “un anachronisme mauvais pour les Juifs” et qu’il devrait devenir un Etat binational [voir CI n° 692, du 5 février 2004]. Cela avait valu à The New York Review of Books une avalanche de courrier des lecteurs. L’année dernière, Judt affirmait dans une tribune parue dans The New York Times que la peur qu’ont les Américains d’être taxés d’antisémitisme dès qu’ils abordent la question d’Israël avait fait de terribles ravages. Au moment d’envoyer la page à l’imprimerie, le rédacteur en chef lui passa un coup de fil : “Juste une question : vous êtes bien juif, n’est-ce pas ?”

Judt est né à Londres en 1948. Pour avoir été un enfant juif dans le Royaume-Uni des années 1950, dit-il, il sait ce qu’est l’antisémitisme. Sa mère était londonienne. Son père, né en Belgique, était arrivé en Royaume-Uni avec le statut d’apatride. Judt a été élevé dans ce qu’il décrit comme “un milieu juif laïque de gauche plutôt banal”, mais avec des liens étroits avec ses grands-parents, tous des Juifs d’Europe de l’Est yiddishophones. Adolescent, il a milité dans une organisation sioniste de gauche et s’est activement engagé dans le mouvement des kibboutz, effectuant des séjours réguliers en Israël pendant une bonne partie du début des années 1960.

“Ce qui a changé, pour moi, dit-il aujourd’hui, c’est qu’en 1967 je suis parti comme volontaire à l’époque de la guerre des Six-Jours. A la fin de la guerre, je me suis porté volontaire comme réserviste et j’ai fini par devenir une sorte de traducteur officieux pour d’autres volontaires sur le plateau du Golan. Et là, pour la première fois, j’ai commencé à découvrir un visage d’Israël que je n’avais pas vu auparavant, tant j’étais enthousiasmé par l’idéalisme du mouvement des kibboutz.”

A partir de là, il a rapidement pris ses distances avec Israël. “A tel point que, quand j’étais étudiant à Paris, en 1970, j ?ai fréquenté des Palestiniens et de jeunes Israéliens qui tentaient d’organiser des groupes pour discuter d’accords de paix et mettre un terme au conflit.”
Début février, en parcourant la liste des signataires du manifeste du groupe Independent Jewish Voices, Judt a été frappé, dit-il, par le fait que beaucoup d’entre eux ne s’étaient jamais auparavant identifiés comme juifs. “Ils le sont, bien sûr. Mais ce n’est pas cela qu’ils mettaient en avant. Et voilà que maintenant ils éprouvent le besoin - et je partage ce sentiment - de dire : si cela peut aider à comprendre pourquoi les choses ont mal tourné au Proche-Orient, je suis prêt à intervenir non pas en tant qu’historien indépendant, mais en qualité de juif.

En temps normal, je n’aime pas agir comme si mon identité se résumait à ma judaïté, mais c’est une sorte de chantage moral inverse qui m’y oblige.” Alvin Rosenfeld, qui dirige le programme d’études juives de l’université de l’Indiana à Bloomington, constate que son article “semble bel et bien avoir touché un point sensible”. “On m’a accusé de vouloir étouffer le débat et la liberté d’expression”, dit-il. “Mais rien de tout cela n’est vrai. Ce qu’on disait tout bas et aux marges de la société est entré aujourd’hui dans le discours dominant”, ajoute-t-il. Rosenfeld prend soin de ne pas écrire qu’antisionisme et antisémitisme sont équivalents, mais il affirme que “l’antisionisme est la forme que prend une bonne partie de l’antisémitisme actuel, à tel point que certains voient désormais un parallèle entre les tentatives passées de débarrasser le monde des Juifs et les désirs actuels de se débarrasser de l’Etat hébreu”.

A propos des travaux de Tony Judt, de Jacqueline Rose, de Tony Kushner et autres, il parle de “guerre juive contre l’Etat juif”. Je lui demande si, à son sens, la montée du sentiment antisioniste peut être une conséquence de la politique israélienne. “J’en doute, répond-il. Ces gens-là s’en prennent moins à une politique en particulier qu’à l’idée d’un Etat juif souverain au Proche-Orient. Je pense que cela touche à la question des origines et de l’essence d’Israël.”

“C’est fou, riposte Judt. Je n’ai jamais dit qu’Israël n’avait pas le droit d’exister. D’ailleurs, je doute que qui que ce soit parmi ce que nous appellerions les grands courants politiques respectables ait jamais dit une chose pareille.”

“C’est ce qu’il dit, réplique Rosenfeld, mais ce n’est pas vrai. Dans ses écrits, il appelle non pas à une solution avec deux Etats, mais à la dissolution d’Israël dans un seul Etat binational, et chacun sait que, si un tel scénario devait se réaliser, les Juifs se retrouveraient du jour au lendemain en minorité au sein de cet Etat reconfiguré et seraient à la merci d’une population qui n’est pas encline à les traiter avec beaucoup de ménagements.”

“La question n’est pas de savoir si Israël a le droit d’exister ou pas, tranche Judt. Israël existe, c’est un fait. Au même titre que la Belgique, que le Koweït ou que n’importe quel autre pays qui a été inventé à un moment donné et qui est maintenant inscrit sur la carte. La question est de savoir quel type d’Etat Israël devrait être. C’est tout.”

L’antisionisme a, comme le sionisme lui-même, une histoire longue et tortueuse. “On a tendance à oublier, souligne Judt, que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale le sionisme était un courant minoritaire, y compris dans les organisations politiques juives. La grande majorité des Juifs européens étaient soit apolitiques, soit intégrés et votaient dans les pays où ils vivaient. De sorte que, au moins jusqu’à la fin des années 1930, être antisioniste revenait à être aligné sur la majorité des Juifs. Il aurait été absurde d’y voir de l’antisémitisme. Puis, au lendemain de la Seconde Guerre, pendant une période relativement brève - de 1945 à 1953, environ -, l’écrasante majorité des Juifs politisés ont été militants ou sympathisants sionistes, pour la raison évidente qu’Israël était le seul espoir pour les survivants juifs.

Puis beaucoup d’entre eux, comme Hannah Arendt ou Arthur Koestler, qui tous deux avaient à un moment donné embrassé la cause sioniste, ont pris leurs distances, car il leur apparaissait déjà clairement qu’Israël deviendrait le type même d’Etat auquel un Juif cosmopolite ne pouvait s’identifier. Depuis, il y a une tradition ininterrompue de Juifs non israéliens qui considèrent Israël soit comme totalement étranger à leur identité, soit comme une entité qu’il peut leur arriver d’approuver, mais aussi de désapprouver, voire de réprouver totalement. Cette palette d’opinions n’a strictement rien de nouveau, conclut Judt. La seule chose qui soit nouvelle - et c’est un produit de l’après-années 1960 -, c’est d’y voir de l’antisémitisme !”

Judt cite un journaliste israélien en poste à Washington dans les années 1960. “L’ambassadeur d’Israël était sur le point de prendre sa retraite, et le journaliste lui demande ce qu’il a fait de mieux dans sa carrière. ?J’ai réussi à commencer à convaincre les Américains que l’antisionisme est de l’antisémitisme’, lui répond le diplomate. Et cet amalgame s’est progressivement imposé, explique Judt. Cela ne s’est pas fait naturellement. L’idée a été activement promue dans les années 1970 et 1980, au point qu’elle est devenue tellement normale aux Etats-Unis qu’elle a été longtemps le postulat par défaut. Ce n’est véritablement que depuis cinq à huit ans qu’elle a commencé à être remise en question.”

Aujourd’hui, les organisations juives pro-israéliennes “ont perdu le contrôle du débat, estime Tony Judt. Pendant longtemps, elles n’avaient face à elles que des gens comme Norman Finkelstein [cet historien américain est l’auteur du très controversé L’Industrie de l’Holocauste, où il dénonce l’exploitation faite par Israël de la Shoah] ou Noam Chomsky, qu’elles pouvaient aisément disqualifier comme des gauchistes timbrés. Maintenant, elles doivent affronter des gens plus dans la norme, disons, des gens comme moi, connus pour avoir des positions sociales-démocrates (au sens européen du terme) et sûrement pas d’extrême gauche sur la plupart des sujets, mais qui disent des choses très critiques sur Israël. Elles n’ont pas l’habitude de cela, et leur première réaction a été d’essayer de faire taire ces gens-là ; leur deuxième réaction a été d’agiter l’épouvantail de l’antisémitisme.” Judt trouve révélateur que The New York Times “soit désireux de traiter ces sujets et de laisser ses journalistes citer les deux camps. Avant, vous auriez eu le silence.”

“Après 1989, rien - ni l’avenir, ni le présent et moins encore le passé - ne serait jamais plus comme avant”, écrit Tony Judt dans son livre Postwar, consacré à l’Europe d’après 1945. Serions-nous actuellement à une époque charnière du même type ? “Je le pense, me répond-il. Ce n’est pas aussi net que 1989 en Europe. Mais on peut dire, il me semble, qu’après la guerre en Irak le silence américain sur les complexités et les catastrophes du Proche-Orient a été brisé. La coquille s’est brisée, et le débat - aussi inconfortable et aussi chargé de calomnies soit-il - est devenu possible. Je ne suis pas certain que cela changera la situation au Proche-Orient, mais cela a au moins changé les choses ici.”

Gaby Wood - The Observer


Jimmy Carter

La politique actuelle d’Israël dans les Territoires palestiniens constitue un “système d’apartheid” où un Etat hébreu “totalement dominant” réprime la violence “en privant les Palestiniens de leurs droits humains fondamentaux”, écrit l’ancien président américain Jimmy Carter dans son livre Palestine : Peace Not Apartheid, paru en novembre 2006. Cet ouvrage - qui figure encore, quatre mois après sa parution, dans la liste des meilleures ventes du New York Times - a déclenché une vive polémique aux Etats-Unis. On a beaucoup reproché au Prix Nobel de la paix 2002 son emploi abusif du mot “apartheid” pour qualifier le traitement réservé aux Palestiniens par Israël. Le livre a aussi provoqué la démission de Kenneth Stein, spécialiste du Proche-Orient et conseiller de longue date de Carter.


Sur Internet
Le site du Comité juif américain (AJC), où l’on peut télécharger l’article d’Alvin Rosenfeld “Progressive Jewish Thought and the New Anti-Semitism” : www.ajc.org

Le site du groupe Independent Jewish Voices, animé par des Juifs de gauche britanniques : www.ijv.org.uk/

L’article très controversé des universitaires américains John Mearsheimer et Stephen Walt est disponibleen VO sur le site de la London Review of Books
ou en traduction française sur le site Protection-Palestine.


FRANCE-ALLEMAGNE

“Comment les Juifs peuvent-ils mépriser les autres ?”

Dans un article récent paru outre-Rhin, l’historien franco-allemand Alfred Grosser revendique à nouveau le droit de critiquer Israël.

En tant que juif, j’ai été méprisé par les Allemands. Pourtant, après Auschwitz, j’ai cru en notre avenir commun. Je ne comprends pas qu’aujourd’hui les Juifs puissent mépriser les autres et s’octroyer le droit de mettre en ?uvre une politique impitoyable au nom de l’autodéfense. La compassion pour les souffrances d’autrui, cette valeur fondamentale de l’Europe, ne vaut-elle pas justement pour Israël ?” L’historien et politologue Alfred Grosser, 82 ans, persiste et signe. Dans une tribune intitulée “Pourquoi je critique Israël”, publiée dans le numéro de février de la revue allemande Internationale Politik et reprise par le quotidien Frankfurter Rundschau, il déplore qu’il soit si difficile de critiquer la politique d’Israël en France et en Allemagne.

Il connaît bien les deux pays : sa famille, juive, a fui l’Allemagne nazie en 1933, pour gagner la France. Alfred Grosser a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris jusqu’à sa retraite et ?uvré pendant toute sa carrière à la réconciliation et à la coopération franco-allemande. Pour étayer sa position, Alfred Grosser multiplie les exemples tirés de son expérience personnelle. Car ce n’est pas la première fois que l’homme revendique un “droit à critiquer Israël”.

En Allemagne, tout d’abord. Il raconte qu’en 2005 le magazine Focus a refusé de publier un article dans lequel il écrivait : “Justement parce que beaucoup d’Allemands n’ont pas été lâches [et ont aidé des Juifs sous le régime nazi], un Allemand d’aujourd’hui peut prendre le risque de passer pour antisémite, en attirant l’attention sur le dur sort fait aux habitants de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Et, puisqu’il s’est trouvé des Allemands courageux pour aider les Juifs, n’est-il pas du devoir des Juifs d’aujourd’hui de se soucier du sort d’autres personnes opprimées ou méprisées ?” “En France, la situation est à peine différente”, poursuit Alfred Grosser, qui rappelle avoir claqué la porte du conseil de surveillance de L’Express, en 2003.

La raison : il avait publié une critique du livre Est-il permis de critiquer Israël ? (Robert Laffont, 2003), du spécialiste des relations internationales Pascal Boniface, dans laquelle il écrivait : “L’ultrasensibilité [à propos du conflit israélo-palestinien] est compréhensible, mais ne devrait-elle pas s’exercer à l’égard de tout racisme ? [...] Les injures et les actes racistes touchent les Français arabes plus que les Français juifs.”

Dans son numéro suivant, L’Express avait publié plusieurs réactions virulentes de lecteurs, mais sans en avertir Alfred Grosser, accuse ce dernier : la direction l’avait ainsi privé d’un droit de réponse pourtant usuel dans la maison. Alfred Grosser insiste bien : “Une fois encore : il s’agit de rejeter l’égocentrisme, la morale d’une solidarité qui ne vaut que pour sa propre communauté, et d’appeler à la compréhension de la souffrance d’autrui, à une définition du prochain qui englobe toute l’humanité.”


Sur un thème proche :

- Israël, un tabou américain
- La dé-sionisation de la mentalité américaine

Gaby Wood,The Observer via Le Courrier international, n° 853 du 8 mars 2007
Version anglaise : The new Jewish question


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